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Michel Louis Lévy
Administrateur de l'INSEE, en retraite
Membre du Conseil de surveillance de la CNAF
Co-fondateur et ancien président du Cercle de Généalogie Juive
Membre fondateur de Judeopedia.org

Redéfinir la politique familiale

(paru dans Après-Demain, n°412, mars 1999)

En France, il est convenu d’appeler " politique familiale " l’ensemble des dispositions législatives ou réglementaires distinguant les familles selon leur configuration et leurs moyens d’existence : présence, nombre et âge des enfants, statut matrimonial, nature et niveau des revenus... Les deux éléments essentiels en sont les allocations familiales et le système du quotient familial pour le calcul de l’impôt sur le revenu, au barème progressif et familial. Ce système construit en un temps de femmes au foyer, d’inflation et de plein emploi est devenu complètement illisible en notre temps de couples à deux salaires, de stabilité des prix et de chômage. Il doit être remis à plat et redéfini.

Baby-boom et inflation

La création des allocations familiales est due à Adolphe Landry, ministre du Travail, et remonte à 1932. Il s’agissait à l’époque de généraliser les " sursalaires " attribués à l’initiative du patronat chrétien aux ouvriers chargés de famille, et financés par une cotisation versée par l’employeur à des " caisses de compensation ". . Encore aujourd’hui la cotisation familiale est à la charge de l’employeur. Les sursalaires étaient identiques pour chaque enfant, mais les allocations familiales, établies dans un but nataliste (la saignée de la guerre de 1914 est proche) sont progressives selon le rang de l’enfant : 5 % d’un certain salaire de référence au premier enfant - 10 % au second - 15 % au troisième. En 1939, le Code de la Famille renforça encore la progressivité qui devint : 0 - 10 % - 20 %. Fut ainsi supprimée l’allocation au premier enfant , qui n’a été rétablie depuis que sous conditions de ressources et pour les trois premières années de l’enfant. À la Libération, les allocations familiales furent étendues à tous les salariés et intégrées dans la Sécurité sociale à côté de l’assurance-maladie et des allocations de retraite. Simultanément est institué l’impôt sur le revenu avec le système du quotient familial.

A l’époque, le nombre d’agriculteurs et de petits commerçants est encore élevé. Le législateur assimile "ménage à salaire unique" avec "ménage tirant son revenu de l'exploitation familiale" : le mari, " chef de ménage ", est censé gagner seul le revenu du foyer, l'épouse était réputée vaquer aux soins du ménage, des enfants et des proches. La cotisation maladie assise sur le salaire du seul chef de ménage couvre aussi les maladies de l'épouse et des enfants, qui sont dits " ayant-droit " de celui-ci. La cotisation famille versée par l’employeur du chef de ménage donne droit à des allocations, souvent versées à la mère. La cotisation vieillesse, elle, crée des droits à pension pour le salarié, dits " droits propres " et à une " pension de réversion ", pour sa femme, si, comme c’est le cas le plus fréquent, elle est appelée à devenir veuve et à lui survivre assez longtemps. Quant à l’impôt sur le revenu, il taxe le niveau de vie réputé commun de tous les membres du foyer. Pour le calcul de ce niveau de vie à partir du revenu total du ménage, salaires, revenus de la propriété et du capital, on utilise un système de " parts ", 1 part pour chaque adulte, donc 2 parts pour un couple, et ½ pour chaque enfant. Épouse et enfants sont dites " personnes à charge " du chef de ménage. La notion de personne à charge coïncide avec celle d’ayant droit.

La 4ème République est une période de plein emploi, d’inflation et de "tensions sur le marché du travail". Les travailleurs et leurs syndicats, en position de force pour négocier des hausses de salaire, obtiennent en particulier la création d’un salaire minimum, le SMIG, qu’Antoine Pinay, en 1954, indexe sur le coût de la vie. Avant guerre, la population de la France était de 40 millions d'habitants, et sa population active oscillait autour de la moitié, environ 20 millions de personnes, un peu plus pendant la période de reconstruction après 1919, un peu moins pendant la crise des années 30. Or à partir de 1946, date du "baby-boom", la population totale s'est mise à croître : 42 millions en 1950; 45 millions en 1959. Au début 1962, on atteint 46,4 millions d'habitants. Pendant ces 16 ans, de 1946 à 1962, le temps que les enfants de la Libération grandissent, la population active n'a pas bougé, avoisinant 20 millions (19,2 millions en 1954 et 1962). Il serait absurde de prétendre que pendant cette période, aucun emploi ne fut créé. Mais il y a eu grande transformation des emplois, un "redéploiement", beaucoup de créations dans certaines branches et des suppressions dans d'autres. Statistiquement, une grande diminution des emplois agricoles et ruraux a été plus que compensée par une augmentation des emplois "tertiaires". Le nombre d'emplois dans l'industrie était lui aussi stable globalement, ce qui recouvrait de grandes transformations internes que connaît bien la région du Nord : moins d'emplois dans le charbon, moins dans le textile, plus dans la construction électrique et dans l'automobile par exemple.

En 1962, on compte 19,2 millions d'actifs sur 46,4 millions d'habitants et la première génération du baby-boom atteint 16 ans. Cette même année 1962 est aussi celle de l'indépendance de l'Algérie, qui provoque le "rapatriement" de plus d'un million de personnes, dont beaucoup d'âge actif, et la démobilisation des "rappelés". Il se produit alors un fait radicalement nouveau : la population active de la France se met à augmenter. On passe à 21,8 millions en 1975 et à 23,5 en 1982.

Les ordonnances Pompidou

Pendant cinq ans, de 1962 à 1967, les nouveaux actifs trouvèrent les emplois que créait une économie prospère, si dynamique qu'il fallut même recourir en plus grand nombre aux travailleurs immigrés, auxquels il était fait appel depuis 1955. En 1967, les élections donnent une très faible majorité aux partis qui soutiennent le Président de la République, le Général de Gaulle, qui avait été mis en ballottage en décembre 1965 par le candidat de l’Union de la gauche, François Mitterrand. Le gouvernement Pompidou obtient de gouverner par ordonnances et sous couvert d’organiser la Sécurité sociale, commet alors le " péché originel " qui explique le chômage et les déficits contemporains. Au lieu de conserver et d’encadrer la gestion unitaire de la Sécurité sociale, quitte à la décentraliser au niveau régional, il crée trois grandes caisses nationales pour gérer les " risques " comme on dit, la maladie, la famille, la vieillesse auxquelles s’ajoute l’UNEDIC, caisse nationale de l’assurance chômage.

Les quatre caisses ont la même source de revenus, des prélèvements sur salaires dits cotisations salariales, ouvrières et patronales, plafonnées ou non, prélevées à la source dès le premier franc. Elles gèrent de prétendus " risques " qui sont en fait complètement différents, ne serait-ce que par leur caractère malheureux ou heureux - la grossesse n’est pas une maladie - vieillir est sans doute un inconvénient mais nettement préférable au décès - le chômage n’est pas un mal qui frappe au hasard mais au contraire se concentre sur certains secteurs. Le caractère aléatoire de ces événements se transforme d’ailleurs complètement pendant cette période. Si les vaccinations et la prévention de toutes sortes de maladies deviennent très logiquement la grande affaire de la CNAM, c’est la maîtrise de la fécondité qui devient la grande affaire de la CNAF : celle-ci est par nature une construction malthusienne ; elle n’est pas maître de ses recettes mais ses dépenses sont d’autant plus fortes qu’il y a beaucoup d’enfants et beaucoup de familles nombreuses, de trois enfants ou plus, elle devient fatalement militante de la planification familiale et de la prévention des naissances...

Plus généralement le système mis en place n’a qu’une seule forme de régulation qui mette en relation recettes et dépenses : le système par répartition de l’allocation vieillesse (les cotisations perçues sont redistribuées). Pour le reste, on encaisse d’autant plus de cotisations que les assurés sont actifs, jeunes, célibataires, bien portants. Et on paye d’autant plus de prestations qu’ils sont âgés, chargés de famille, malades, chômeurs. On crée une euphorie artificielle pendant toute la montée en charge du système, d’où de nombreux droits accordés, suivi d’un déficit permanent quand il faut tenir les promesses faites. Pour corriger ce déficit, on ne connaît qu’une seule méthode, augmenter les cotisations, qui perçues dès le premier franc, pèsent sur le coût de l’embauche et donc contribuent à accroître le chômage.

Double salaire

Dans le même temps, la population active se transforme. L'allongement de la scolarité diminue l’activité professionnelle des jeunes. L'abaissement de fait de l'âge de la retraite, qu'entraînait à l'époque la plus grande fréquence du statut de salarié (où on prend sa retraite) celle des vieux. C’est celle des femmes qui augmente. Les ménages à double salaire deviennent majoritaires en 1976.

En 1972, nouvelle occasion manquée. Le gouvernement Chaban-Delmas Delors, au lieu de refondre l’ensemble impôt sur le revenu - cotisations et allocations familiales, fait une invention promise à un grand avenir : certaines prestations sociales sont attribuées sous conditions de ressources. Deux célibataires, quand ce sont deux bas revenus, y ont droit séparément : pour continuer à en bénéficier à taux plein, mieux vaut ne pas mettre les revenus en commun et donc ne pas se marier. L’allocation pour un couple n’est jamais l’équivalent de deux allocations individuelles.

En 1973, le nombre de mariages, qui avait dépassé 416 000 l'année précédente (taux de 8,1 p. 1000), s'abaisse à 401 000. On ne reverra plus jamais une année de 400 000 mariages. La baisse qui s'amorce sera si profonde que, dix ans plus tard, la croissance des divorces aidant, ce sera l'effectif même des couples mariés qui se mettra à diminuer : le total des divorces et des veuvages annuels est supérieure à celle des mariages. Des projections de l'INSEE avaient été publiées peu de temps auparavant. Elles avaient correctement anticipé un arrêt de la hausse de la nuptialité, mais ces projections n'avaient annoncé qu'un plafonnement, non une baisse. Simultanément le nombre des logements achevés, et celui des mises en chantier, s'abaissent aussi, après des maxima dont le rappel fait rêver : 546 000 logements sont terminés en 1972. Évidemment la demande de logements n'est une fonction ni simple, ni directe, du nombre de mariages, mais il y a là un lien qui mérite l’analyse. Seul un poète comprit ce qui se passait, le doux Brassens : J'ai l'honneur de ne pas, te demander, ta main, ne gravons pas nos noms, au bas d'un parchemin . Il s'agissait bel et bien de l'extension aux jeunes générations des classes moyennes d'un vieux comportement anarchiste et ouvrier, le concubinage, déjà répandu dans les pays scandinaves.

Tout ceci se passait, rappelons-le, avant la crise pétrolière à laquelle on aura beau jeu, ensuite, d'attribuer toutes les déceptions conjoncturelles. Celle-ci, changement majeur du système de prix, promettait certes un nouveau redéploiement des emplois, mais ni plus ni moins impressionnant que les précédents. Au lieu de resserrer son système de planification à moyen terme, la France s’abandonne au marché et au libéralisme. Elle regarde la proportion de femmes salariées, puis de femmes mariées salariées, puis de mères de famille salariées augmenter. Ces mouvements s'accompagnent, selon des modalités diverses, de recul de l'âge au mariage, de baisse de la fécondité, de croissance du divorce, de refus croissant du mariage.

La copine au bureau

Quand les choses ont changé, quand le nombre des couples à un seul salaire a été dépassé par celui des couples à deux salaires, en 1976, une norme sociale a basculé. Les enfants (0 à 16 ans) "dont la mère travaille" sont eux-mêmes devenus majoritaires en 1982. Considéré d'abord comme procurant aux ménages un revenu d'appoint provisoire, le salaire féminin est peu à peu devenu un élément constitutif permanent du statut social du ménage comme de la femme elle-même. Du coup la réprobation sociale, qui s'attachait naguère à la femme "abandonnant" ses enfants pour aller travailler, s'est reportée sur la femme au foyer, devenue minoritaire et vaguement suspecte d'être "entretenue" aux frais de la société. La réprobation attachée aux "enfants à la clef", rentrant de l'école dans une maison vide où la télévision remplace la mère absente, s'estompe, tandis que la question de la "garde des enfants", de privée qu'elle était, devient publique. La construction de crèches devient un enjeu électoral. Autre conséquence, en cas d'interruption d'une des deux activités professionnelles - celle de la mère le plus souvent - la perte de salaire crée un important manque à gagner qu'aucun système d'allocation ne peut combler. Le niveau et l'évolution projetée de chacune des deux carrières deviennent essentiels pour le revenu et la stratégie du ménage et leur concurrence éventuelle accroît les risques de rupture des couples.

Cette autonomie professionnelle des femmes, jointe aux progrès de la contraception et la maîtrise de la fécondité, a évidemment rejailli sur le sens du mariage, construit jusque là pour assurer la protection de la femme contre les risques de disparition du mari, au prix de sa dépendance. Qu’il faille rééquilibrer l’ensemble, c’est évident, mais la désuétude du mariage revient à jeter l’enfant avec l’eau du bain, c’est le cas de le dire, les enfants étant les principales victimes de la désunion des couples, la croissance contemporaine de la délinquance juvénile en étant une preuve supplémentaire.

Tout se passe comme si s’était créé un mariage "social", sans cérémonie, et sans publication de bans, qui supplée le mariage "civil" : il suffit de faire une croix dans la case de la feuille de Sécurité sociale "vit maritalement avec l'assuré ". Au modèle de l'épouse au foyer a succédé dans la confusion celui de la copine au bureau. L'institution matrimoniale a changé de signification. L’équipe dotée d'un capitaine, où les rôles sont distincts a été remplacée par une association plus égalitaire qui se dissout souvent. La législation de 1975, plus libérale, a favorisé le divorce, mais a plutôt accompagné que provoqué l'évolution. Le nombre et la proportion de naissances hors mariage bondissent. Celle-ci atteint aujourd’hui près de 40 % contre 8,5 % en 1976. Le mariage apparaît de moins en moins comme l'acte fondateur d'un couple, et de plus en plus comme un acte qui en confirme simplement la validité, souvent pour des besoins administratifs ou bancaires.

Le tâtonnement de l'institution matrimoniale, que complique encore le débat sur le PACS, est certes commun à toutes les sociétés modernes mais la France a bien mal géré son mariage civil, fondement de la laïcité républicaine. Il aurait fallu, mais il n’est pas trop tard, intégrer les allocations familiales et les cotisations correspondantes dans le système d'imposition directe, quitte à créer pour les plus pauvres un "impôt négatif", qui aurait rendu le système populaire. Au lieu de cela, les gouvernements des septennats Giscard et Mitterrand, engagés par de démagogiques promesses électorales, ont cherché à supprimer ou abaisser l'impôt direct des titulaires de revenus modestes ou moyens et ont en contrepartie maintenu et accentué le poids relatif des cotisations salariales proportionnelles. Ce système est particulièrement dissuasif pour les bas salaires, c'est-à-dire les salaires de débutants (jeunes), les salaires d'appoint (femmes, retraités, petits boulots) et est un encouragement puissant au "travail noir", non déclaré. Une novation entraînée par cette fiscalisation souhaitable consisterait à "coupler" les parents (mariés ou non, biologiques ou non), qui travaillant l'un et l'autre, détiennent séparément des droits à la Sécurité sociale, à codifier ce que nous avons appelé le "mariage social" en rendant cohérentes, sans forcément les uniformiser, les règles du fisc et de la Sécurité sociale, dont la séparation théorique est sérieusement mise à mal depuis que la multiplication des prestations sociales soumise à des conditions de ressources, jamais les mêmes, oblige les caisses à demander aux éventuels bénéficiaires leurs déclarations de revenus et autres certificats de non-imposition.

Les activités domestiques constituent un secteur non monétaire, qui prédomine dans les sociétés peu développées, mais qu'on sous-estime beaucoup trop dans les sociétés industrialisées. Or les " emplois " correspondants, à temps plein pour les " femmes au foyer ", à temps partiel pour les femmes " actives ", absents de tous les comptes, font faire des économies considérables à la collectivité : enfants gardés par les mères et grands-mères, et non par des crèches publiques, personnes âgées et très âgées dépendantes, de plus en plus nombreuses avec le vieillissement de la population, à la charge des ménages et non placées dans des institutions. Cette économie domestique joue en particulier un rôle considérable dans le soutien aux chômeurs. Une majorité de chômeurs appartiennent à un ménage où le père ou la mère ou le conjoint est titulaire d'un emploi, et qui lui offre au moins un toit, forme d'allocation de logement qui n'apparaît dans aucun compte. La dispersion excessive des aides publiques prive les victimes les plus touchées (en particulier les ménages à double chômage) de l'efficacité de la solidarité nationale.

La stabilisation des prix a par ailleurs accru énormément les difficultés des jeunes générations et explique largement la tendance actuelle des jeunes à rester habiter chez leurs parents. La génération du baby-boom a pu acheter ses logements dans des conditions favorisées par la dépréciation de la monnaie. Les niveaux des taux d’intérêt réels a rendu cela impossible pour les générations qui sont entrées dans la vie active au cours des années 1980.

Vieillissement et retraites

En 1982, le gouvernement Mitterrand Mauroy commet une nouvelle erreur politique, abaisser l’âge de la retraite à 60 ans. Depuis longtemps, les démographes avaient balisé la montée du vieillissement, en faisant observer que la période 1975-1985, qui verraient les "classes creuses" de 1914-18 atteindre 60-65 ans, serait une période d'accalmie propice au réaménagement des règles de la retraite, puisqu'elle coïncidait avec la maturité du système d’assurance vieillesse de la Sécurité sociale, créé à la Libération. La bonne solution aurait consisté à faire dépendre la date du départ à la retraite moins de l'âge et plus de la durée d'activité, ce qui aurait permis de satisfaire à la fois les ouvriers et employés aux tâches ingrates qui aspirent à partir tôt à la retraite et les cadres qui, entrés tard, après de longues études, dans la vie active, ne sont pas pressés de renoncer à leurs activités gratifiantes. Si la retraite à taux plein était acquise après 40 ans d'activité professionnelle, les ouvriers qui ont commencé à travailler à 15/20 ans prendraient leur retraite à 55/60 ans et les cadres, qui commencent entre 22 et 30 ans s'arrêteraient vers 62/70 ans. En ne pratiquant pas de la sorte, l'économie française s'est privée de la mémoire et de la compétence de nombreuses personnes qui ne demandaient qu'à travailler, les a encouragées à des activités de loisirs coûteuses en devises (voyages à l'étranger). En abaissant l'âge de la retraite, on a même augmenté la probabilité que la charge des personnes les plus âgées, surtout des femmes, incombent à des retraités. Les circonstances politiques ont conduit à présenter l’abaissement de l’âge de le retraite de 65 à 60 ans comme une conquête définitive, alors qu’il eut fallu dire qu’elle était une juste appréciation des services rendus par les générations entrées souvent très jeunes en activité, après la guerre de 1914, mais dont le maintien indéfini ne pouvait être garanti.

Par ailleurs, le financement d'allocations pour personnes dépendantes ou pour personnes âgées à charge, qui freinerait le placement en institutions, coûteuses pour la collectivité, ne peut se faire de même qu’en alourdissant la taxation des ménages cumulant plusieurs retraites et revenus de la propriété et du capital. Il faut intensifierait la redistribution des revenus entre personnes âgées, dont les inégalités sont plus grandes qu'entre revenus d'activité. Il serait judicieux simultanément d'atténuer la frontière entre activité et retraite, c'est-à-dire adapter les emplois avec l'âge, permettre le cumul de revenus d'activité et de retraite et instituer des compensations entre systèmes d'assurance sur la vie et systèmes de retraite, de manière que les économies liées au recul des âges au décès bénéficient aux revenus des personnes âgées. La régulation de ces phénomènes devrait conduire à étendre l'usage des techniques actuarielles, aujourd'hui réservées aux compagnies d’assurance, à la planification des coûts supportés par la collectivité pour l'éducation nationale, la santé publique, l'assurance vieillesse.

Registres de population

La statistique des ménages est le point faible de la statistique démographique. Le recensement n’a lieu que tous les huit ou neuf ans (1982-1990-1999). Une des questions posées en 1999 est : "Où habitiez-vous au 1er janvier 1990 ? ". Les déplacements qui ont lieu entre temps ne donnent pas lieu à enregistrement administratif. Les particuliers qui déménagent signalent certes leur changement d’adresse à de multiples administrations : bureau de poste, listes électorales, inscriptions scolaires, branchements électriques et téléphoniques, rôles d’impôts, Sécurité sociale, caisse d’allocations familiales, fichier de cartes grises, caisses de retraite, etc. Mais le début d’une cohabitation ne s’accompagne d’aucune formalité, bien qu’elle ouvre divers droits sociaux, notamment en matière d’assurance-maladie. La source essentielle d’informations sur ce phénomène devrait donc être la Sécurité sociale, qui gère aussi la notion d’" enfants à charge ". De même que l'état civil, institué pour des raisons juridiques, est devenu ensuite la source statistique principale de l'évolution des populations, le traitement statistique des cartes d’ayant-droit à la Sécurité sociale, convenablement normalisées, devrait permettre de suivre et d’étudier la constitution et l’éventuelle séparation des couples, mariés ou non, ainsi que la naissance et le départ du foyer des enfants successifs. Les droits ouverts par la détention d’une carte mise à jour permettraient de faire participer la population à la qualité de l'information collectée. La principale novation par rapport à la situation actuelle consisterait à "coupler" les parents (mariés ou non, biologiques ou non), qui travaillant l'un et l'autre, détiennent séparément des droits à la Sécurité sociale. Il s'agirait de rendre cohérentes, sans forcément les uniformiser, les règles du fisc et de la Sécurité sociale, dont la séparation théorique est sérieusement mise à mal depuis que la multiplication des prestations sociales soumise à des conditions de ressources oblige les caisses à demander aux éventuels bénéficiaires leurs déclarations de revenus et certificats de non-imposition.

Les expériences de plusieurs pays démocratiques qui ont institué des registres communaux de la population devraient être en tout cas mieux connues en France. A l’heure des réseaux de télécommunications et des autoroutes de l’information, une réflexion sur les registres de population, les fichiers de Sécurité sociale et la périodicité des recensements s’impose en France.

Une " remise à plat " de la politique familiale est nécessaire, qui fasse le point de la confusion actuelle, puis qui programme l’entrée en vigueur d’un nouveau système de prélèvement/allocations sur les ménages, doté d’une certaine souplesse régionale et locale, qui redonne plus d’importance à des barèmes progressifs et familiaux, atténue les conditions de ressources, recrée une allocation au premier enfant, diminue la taxation des revenus les plus bas, par exemple en insérant dans le calcul de la CSG et des autres prélèvements proportionnels des mécanismes d’abattement à la base pour en exonérer la partie basse du revenu, à concurrence du revenu minimum.

En un mot, il faudrait augmenter les taxations, y compris locales, fondées sur le niveau de vie du foyer, et diminuer celles fondées sur les ressources et dépenses individuelles. Le système actuel, qui fait beaucoup appel à la commodité du "prélèvement à la source", donne une trop grande place aux situations individuelles et une place insuffisante aux situations familiales. Il profite aux plus malins, qui se reposent ainsi sur leurs concitoyens des charges d'éducation des enfants, de protection des malades et d'assistance aux vieillards. La construction de l'Europe et la création de l'euro pourraient fournir l'occasion d'un vaste rééquilibrage, si les Quinze voulaient bien s'entendre pour faire converger leurs systèmes fiscal et social vers un idéal décentralisé, dont la cohérence serait vérifiée en commun.

Michel Louis LÉVY


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