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Redéfinir la politique
familiale
(paru dans Après-Demain, n°412, mars
1999)
En France, il est convenu dappeler " politique
familiale " lensemble des dispositions législatives ou réglementaires
distinguant les familles selon leur configuration et leurs moyens dexistence :
présence, nombre et âge des enfants, statut matrimonial, nature et niveau des revenus...
Les deux éléments essentiels en sont les allocations familiales et le système du
quotient familial pour le calcul de limpôt sur le revenu, au barème
progressif et familial. Ce système construit en un temps de femmes au foyer,
dinflation et de plein emploi est devenu complètement illisible en notre temps de
couples à deux salaires, de stabilité des prix et de chômage. Il doit être remis à
plat et redéfini.
Baby-boom et inflation
La création des allocations familiales est due à Adolphe Landry,
ministre du Travail, et remonte à 1932. Il sagissait à lépoque de
généraliser les " sursalaires " attribués à linitiative du
patronat chrétien aux ouvriers chargés de famille, et financés par une cotisation
versée par lemployeur à des " caisses de compensation ". .
Encore aujourdhui la cotisation familiale est à la charge de lemployeur. Les
sursalaires étaient identiques pour chaque enfant, mais les allocations familiales,
établies dans un but nataliste (la saignée de la guerre de 1914 est proche) sont
progressives selon le rang de lenfant : 5 % dun certain salaire de
référence au premier enfant - 10 % au second - 15 % au troisième. En 1939, le
Code de la Famille renforça encore la progressivité qui devint : 0 - 10 %
- 20 %. Fut ainsi supprimée lallocation au premier enfant , qui na été
rétablie depuis que sous conditions de ressources et pour les trois premières années de
lenfant. À la Libération, les allocations familiales furent étendues à tous les
salariés et intégrées dans la Sécurité sociale à côté de lassurance-maladie
et des allocations de retraite. Simultanément est institué limpôt sur le revenu
avec le système du quotient familial.
A lépoque, le nombre dagriculteurs et de petits
commerçants est encore élevé. Le législateur assimile "ménage à salaire
unique" avec "ménage tirant son revenu de l'exploitation familiale" :
le mari, " chef de ménage ", est censé gagner seul le revenu du
foyer, l'épouse était réputée vaquer aux soins du ménage, des enfants et des proches.
La cotisation maladie assise sur le salaire du seul chef de ménage couvre aussi les
maladies de l'épouse et des enfants, qui sont dits " ayant-droit " de
celui-ci. La cotisation famille versée par lemployeur du chef de ménage donne
droit à des allocations, souvent versées à la mère. La cotisation vieillesse, elle,
crée des droits à pension pour le salarié, dits " droits propres "
et à une " pension de réversion ", pour sa femme, si, comme
cest le cas le plus fréquent, elle est appelée à devenir veuve et à lui survivre
assez longtemps. Quant à limpôt sur le revenu, il taxe le niveau de vie réputé
commun de tous les membres du foyer. Pour le calcul de ce niveau de vie à partir du
revenu total du ménage, salaires, revenus de la propriété et du capital, on utilise un
système de " parts ", 1 part pour chaque adulte, donc 2 parts pour un
couple, et ½ pour chaque enfant. Épouse et enfants sont dites " personnes à
charge " du chef de ménage. La notion de personne à charge coïncide avec
celle dayant droit.
La 4ème République est une période de plein emploi, dinflation
et de "tensions sur le marché du travail". Les travailleurs et leurs syndicats,
en position de force pour négocier des hausses de salaire, obtiennent en particulier la
création dun salaire minimum, le SMIG, quAntoine Pinay, en 1954, indexe sur
le coût de la vie. Avant guerre, la population de la France était de 40 millions
d'habitants, et sa population active oscillait autour de la moitié, environ 20 millions
de personnes, un peu plus pendant la période de reconstruction après 1919, un peu moins
pendant la crise des années 30. Or à partir de 1946, date du "baby-boom", la
population totale s'est mise à croître : 42 millions en 1950; 45 millions en 1959. Au
début 1962, on atteint 46,4 millions d'habitants. Pendant ces 16 ans, de 1946 à 1962, le
temps que les enfants de la Libération grandissent, la population active n'a pas bougé,
avoisinant 20 millions (19,2 millions en 1954 et 1962). Il serait absurde de prétendre
que pendant cette période, aucun emploi ne fut créé. Mais il y a eu grande
transformation des emplois, un "redéploiement", beaucoup de créations dans
certaines branches et des suppressions dans d'autres.
Statistiquement, une grande diminution des emplois agricoles et ruraux a été plus que
compensée par une augmentation des emplois "tertiaires". Le nombre d'emplois
dans l'industrie était lui aussi stable globalement, ce qui recouvrait de grandes
transformations internes que connaît bien la région du Nord : moins d'emplois dans le
charbon, moins dans le textile, plus dans la construction électrique et dans l'automobile
par exemple.
En 1962, on compte 19,2 millions d'actifs sur 46,4 millions d'habitants
et la première génération du baby-boom atteint 16 ans. Cette même année 1962
est aussi celle de l'indépendance de l'Algérie, qui provoque le "rapatriement"
de plus d'un million de personnes, dont beaucoup d'âge actif, et la démobilisation des
"rappelés". Il se produit alors un fait radicalement nouveau : la population
active de la France se met à augmenter. On passe à 21,8 millions en 1975 et à 23,5 en
1982.
Les ordonnances Pompidou
Pendant cinq ans, de 1962 à 1967, les nouveaux actifs trouvèrent les
emplois que créait une économie prospère, si dynamique qu'il fallut même recourir en
plus grand nombre aux travailleurs immigrés, auxquels il était fait appel depuis 1955.
En 1967, les élections donnent une très faible majorité aux partis qui soutiennent le
Président de la République, le Général de Gaulle, qui avait été mis en
ballottage en décembre 1965 par le candidat de lUnion de la gauche, François
Mitterrand. Le gouvernement Pompidou obtient de gouverner par ordonnances et sous couvert
dorganiser la Sécurité sociale, commet alors le " péché
originel " qui explique le chômage et les déficits contemporains. Au lieu de
conserver et dencadrer la gestion unitaire de la Sécurité sociale, quitte à la
décentraliser au niveau régional, il crée trois grandes caisses nationales pour gérer
les " risques " comme on dit, la maladie, la famille, la vieillesse
auxquelles sajoute lUNEDIC, caisse nationale de lassurance chômage.
Les quatre caisses ont la même source de revenus, des prélèvements
sur salaires dits cotisations salariales, ouvrières et patronales, plafonnées ou non,
prélevées à la source dès le premier franc. Elles gèrent de prétendus
" risques " qui sont en fait complètement différents, ne serait-ce
que par leur caractère malheureux ou heureux - la grossesse nest pas une maladie -
vieillir est sans doute un inconvénient mais nettement préférable au décès - le
chômage nest pas un mal qui frappe au hasard mais au contraire se concentre sur
certains secteurs. Le caractère aléatoire de ces événements se transforme
dailleurs complètement pendant cette période. Si les vaccinations et la
prévention de toutes sortes de maladies deviennent très logiquement la grande affaire de
la CNAM, cest la maîtrise de la fécondité qui devient la grande affaire de la
CNAF : celle-ci est par nature une construction malthusienne ; elle nest
pas maître de ses recettes mais ses dépenses sont dautant plus fortes quil y
a beaucoup denfants et beaucoup de familles nombreuses, de trois enfants ou plus,
elle devient fatalement militante de la planification familiale et de la prévention des
naissances...
Plus généralement le système mis en place na quune seule
forme de régulation qui mette en relation recettes et dépenses : le système par
répartition de lallocation vieillesse (les cotisations perçues sont
redistribuées). Pour le reste, on encaisse dautant plus de cotisations que les
assurés sont actifs, jeunes, célibataires, bien portants. Et on paye dautant plus
de prestations quils sont âgés, chargés de famille, malades, chômeurs. On crée
une euphorie artificielle pendant toute la montée en charge du système, doù de
nombreux droits accordés, suivi dun déficit permanent quand il faut tenir les
promesses faites. Pour corriger ce déficit, on ne connaît quune seule méthode,
augmenter les cotisations, qui perçues dès le premier franc, pèsent sur le coût de
lembauche et donc contribuent à accroître le chômage.
Double salaire
Dans le même temps, la population active se transforme. L'allongement
de la scolarité diminue lactivité professionnelle des jeunes. L'abaissement de
fait de l'âge de la retraite, qu'entraînait à l'époque la plus grande fréquence du
statut de salarié (où on prend sa retraite) celle des vieux. Cest celle des femmes
qui augmente. Les ménages à double salaire deviennent majoritaires en 1976.
En 1972, nouvelle occasion manquée. Le gouvernement Chaban-Delmas
Delors, au lieu de refondre lensemble impôt sur le revenu - cotisations et
allocations familiales, fait une invention promise à un grand avenir : certaines
prestations sociales sont attribuées sous conditions de ressources. Deux célibataires,
quand ce sont deux bas revenus, y ont droit séparément : pour continuer à en
bénéficier à taux plein, mieux vaut ne pas mettre les revenus en commun et donc ne pas
se marier. Lallocation pour un couple nest jamais léquivalent de deux
allocations individuelles.
En 1973, le nombre de mariages, qui avait dépassé 416 000 l'année
précédente (taux de 8,1 p. 1000), s'abaisse à 401 000. On ne reverra plus jamais une
année de 400 000 mariages. La baisse qui s'amorce sera si profonde que, dix ans plus
tard, la croissance des divorces aidant, ce sera l'effectif même des couples mariés qui
se mettra à diminuer : le total des divorces et des veuvages annuels est supérieure
à celle des mariages. Des projections de l'INSEE avaient été publiées peu de temps
auparavant. Elles avaient correctement anticipé un arrêt de la hausse de la
nuptialité, mais ces projections n'avaient annoncé qu'un plafonnement, non une baisse.
Simultanément le nombre des logements achevés, et celui des mises en chantier,
s'abaissent aussi, après des maxima dont le rappel fait rêver : 546 000 logements
sont terminés en 1972. Évidemment la demande de logements n'est une fonction ni simple,
ni directe, du nombre de mariages, mais il y a là un lien qui mérite lanalyse.
Seul un poète comprit ce qui se passait, le doux Brassens : J'ai l'honneur de ne
pas, te demander, ta main, ne gravons pas nos noms, au bas d'un parchemin . Il
s'agissait bel et bien de l'extension aux jeunes générations des classes moyennes d'un
vieux comportement anarchiste et ouvrier, le concubinage, déjà répandu dans les pays
scandinaves.
Tout ceci se passait, rappelons-le, avant la crise pétrolière
à laquelle on aura beau jeu, ensuite, d'attribuer toutes les déceptions conjoncturelles.
Celle-ci, changement majeur du système de prix, promettait certes un nouveau
redéploiement des emplois, mais ni plus ni moins impressionnant que les précédents. Au
lieu de resserrer son système de planification à moyen terme, la France sabandonne
au marché et au libéralisme. Elle regarde la proportion de femmes salariées, puis de
femmes mariées salariées, puis de mères de famille salariées augmenter. Ces mouvements
s'accompagnent, selon des modalités diverses, de recul de l'âge au mariage, de baisse de
la fécondité, de croissance du divorce, de refus croissant du mariage.
La copine au bureau
Quand les choses ont changé, quand le nombre des couples à un seul
salaire a été dépassé par celui des couples à deux salaires, en 1976, une norme
sociale a basculé. Les enfants (0 à 16 ans) "dont la mère travaille" sont
eux-mêmes devenus majoritaires en 1982. Considéré
d'abord comme procurant aux ménages un revenu d'appoint provisoire, le salaire féminin
est peu à peu devenu un élément constitutif permanent du statut social du ménage comme
de la femme elle-même. Du coup la réprobation sociale, qui s'attachait naguère à la
femme "abandonnant" ses enfants pour aller travailler, s'est reportée sur la
femme au foyer, devenue minoritaire et vaguement suspecte d'être "entretenue"
aux frais de la société. La réprobation attachée aux "enfants à la clef",
rentrant de l'école dans une maison vide où la télévision remplace la mère absente,
s'estompe, tandis que la question de la "garde des enfants", de privée qu'elle
était, devient publique. La construction de crèches devient un enjeu électoral. Autre
conséquence, en cas d'interruption d'une des deux activités professionnelles - celle de
la mère le plus souvent - la perte de salaire crée un important manque à gagner
qu'aucun système d'allocation ne peut combler. Le niveau et l'évolution projetée de
chacune des deux carrières deviennent essentiels pour le revenu et la stratégie du
ménage et leur concurrence éventuelle accroît les risques de rupture des couples.
Cette autonomie professionnelle des femmes, jointe aux progrès de la
contraception et la maîtrise de la fécondité, a évidemment rejailli sur le sens du
mariage, construit jusque là pour assurer la protection de la femme contre les risques de
disparition du mari, au prix de sa dépendance. Quil faille rééquilibrer
lensemble, cest évident, mais la désuétude du mariage revient à jeter
lenfant avec leau du bain, cest le cas de le dire, les enfants étant
les principales victimes de la désunion des couples, la croissance contemporaine de la
délinquance juvénile en étant une preuve supplémentaire.
Tout se passe comme si sétait créé un mariage
"social", sans cérémonie, et sans publication de bans, qui supplée le mariage
"civil" : il suffit de faire une croix dans la case de la feuille de Sécurité
sociale "vit maritalement avec l'assuré ". Au modèle de l'épouse
au foyer a succédé dans la confusion celui de la copine au bureau. L'institution
matrimoniale a changé de signification. Léquipe dotée d'un capitaine, où les
rôles sont distincts a été remplacée par une association plus égalitaire qui se
dissout souvent. La législation de 1975, plus libérale, a favorisé le divorce, mais a
plutôt accompagné que provoqué l'évolution. Le nombre et la proportion de naissances
hors mariage bondissent. Celle-ci atteint aujourdhui près de 40 % contre
8,5 % en 1976. Le mariage apparaît de moins en moins comme l'acte fondateur d'un couple,
et de plus en plus comme un acte qui en confirme simplement la validité, souvent pour des
besoins administratifs ou bancaires.
Le tâtonnement de l'institution matrimoniale, que complique encore le
débat sur le PACS, est certes commun à toutes les sociétés modernes mais la France a
bien mal géré son mariage civil, fondement de la laïcité républicaine. Il aurait
fallu, mais il nest pas trop tard, intégrer les allocations familiales et les
cotisations correspondantes dans le système d'imposition directe, quitte à créer pour
les plus pauvres un "impôt négatif", qui aurait rendu le système populaire.
Au lieu de cela, les gouvernements des septennats Giscard et Mitterrand, engagés par de
démagogiques promesses électorales, ont cherché à supprimer ou abaisser l'impôt
direct des titulaires de revenus modestes ou moyens et ont en contrepartie maintenu et
accentué le poids relatif des cotisations salariales proportionnelles. Ce système est
particulièrement dissuasif pour les bas salaires, c'est-à-dire les salaires de
débutants (jeunes), les salaires d'appoint (femmes, retraités, petits boulots) et est un
encouragement puissant au "travail noir", non déclaré. Une novation
entraînée par cette fiscalisation souhaitable consisterait à "coupler" les
parents (mariés ou non, biologiques ou non), qui travaillant l'un et l'autre, détiennent
séparément des droits à la Sécurité sociale, à codifier ce que nous avons appelé le
"mariage social" en rendant cohérentes, sans forcément les uniformiser, les
règles du fisc et de la Sécurité sociale, dont la séparation théorique est
sérieusement mise à mal depuis que la multiplication des prestations sociales soumise à
des conditions de ressources, jamais les mêmes, oblige les caisses à demander aux
éventuels bénéficiaires leurs déclarations de revenus et autres certificats de
non-imposition.
Les activités domestiques constituent un secteur non monétaire, qui
prédomine dans les sociétés peu développées, mais qu'on sous-estime beaucoup trop
dans les sociétés industrialisées. Or les " emplois "
correspondants, à temps plein pour les " femmes au foyer ", à temps
partiel pour les femmes " actives ", absents de tous les comptes, font
faire des économies considérables à la collectivité : enfants gardés par les mères
et grands-mères, et non par des crèches publiques, personnes âgées et très âgées
dépendantes, de plus en plus nombreuses avec le vieillissement de la population, à la
charge des ménages et non placées dans des institutions. Cette économie domestique joue
en particulier un rôle considérable dans le soutien aux chômeurs. Une majorité de
chômeurs appartiennent à un ménage où le père ou la mère ou le conjoint est
titulaire d'un emploi, et qui lui offre au moins un toit, forme d'allocation de logement
qui n'apparaît dans aucun compte. La dispersion excessive des aides publiques prive les
victimes les plus touchées (en particulier les ménages à double chômage) de
l'efficacité de la solidarité nationale.
La stabilisation des prix a par ailleurs accru énormément les
difficultés des jeunes générations et explique largement la tendance actuelle des
jeunes à rester habiter chez leurs parents. La génération du baby-boom a pu acheter ses
logements dans des conditions favorisées par la dépréciation de la monnaie. Les niveaux
des taux dintérêt réels a rendu cela impossible pour les générations qui sont
entrées dans la vie active au cours des années 1980.
Vieillissement et retraites
En 1982, le gouvernement Mitterrand Mauroy commet une nouvelle erreur
politique, abaisser lâge de la retraite à 60 ans. Depuis longtemps, les démographes avaient balisé la montée du vieillissement,
en faisant observer que la période 1975-1985, qui verraient les "classes
creuses" de 1914-18 atteindre 60-65 ans, serait une période d'accalmie propice au
réaménagement des règles de la retraite, puisqu'elle coïncidait avec la maturité du
système dassurance vieillesse de la Sécurité sociale, créé à la Libération.
La bonne solution aurait consisté à faire dépendre la date du départ à la retraite
moins de l'âge et plus de la durée d'activité, ce qui aurait permis de satisfaire à la
fois les ouvriers et employés aux tâches ingrates qui aspirent à partir tôt à la
retraite et les cadres qui, entrés tard, après de longues études, dans la vie active,
ne sont pas pressés de renoncer à leurs activités gratifiantes. Si la retraite à taux
plein était acquise après 40 ans d'activité professionnelle, les ouvriers qui ont
commencé à travailler à 15/20 ans prendraient leur retraite à 55/60 ans et les cadres,
qui commencent entre 22 et 30 ans s'arrêteraient vers 62/70 ans. En ne pratiquant pas de
la sorte, l'économie française s'est privée de la mémoire et de la compétence de
nombreuses personnes qui ne demandaient qu'à travailler, les a encouragées à des
activités de loisirs coûteuses en devises (voyages à l'étranger). En abaissant l'âge
de la retraite, on a même augmenté la probabilité que la charge des personnes les plus
âgées, surtout des femmes, incombent à des retraités. Les circonstances politiques ont
conduit à présenter labaissement de lâge de le retraite de 65 à 60 ans
comme une conquête définitive, alors quil eut fallu dire quelle était une
juste appréciation des services rendus par les générations entrées souvent très
jeunes en activité, après la guerre de 1914, mais dont le maintien indéfini ne pouvait
être garanti.
Par ailleurs, le financement d'allocations pour personnes dépendantes
ou pour personnes âgées à charge, qui freinerait le placement en institutions,
coûteuses pour la collectivité, ne peut se faire de même quen alourdissant la
taxation des ménages cumulant plusieurs retraites et revenus de la propriété et du
capital. Il faut intensifierait la redistribution des revenus entre personnes âgées,
dont les inégalités sont plus grandes qu'entre revenus d'activité. Il serait judicieux
simultanément d'atténuer la frontière entre activité et retraite, c'est-à-dire
adapter les emplois avec l'âge, permettre le cumul de revenus d'activité et de retraite
et instituer des compensations entre systèmes d'assurance sur la vie et systèmes de
retraite, de manière que les économies liées au recul des âges au décès
bénéficient aux revenus des personnes âgées. La régulation de ces phénomènes
devrait conduire à étendre l'usage des techniques actuarielles, aujourd'hui réservées
aux compagnies dassurance, à la planification des coûts supportés par la
collectivité pour l'éducation nationale, la santé publique, l'assurance vieillesse.
Registres de population
La statistique des ménages est le point faible de la statistique
démographique. Le recensement na lieu que tous les huit ou neuf ans
(1982-1990-1999). Une des questions posées en 1999 est : "Où habitiez-vous
au 1er janvier 1990 ? ". Les déplacements qui ont lieu
entre temps ne donnent pas lieu à enregistrement administratif. Les particuliers qui
déménagent signalent certes leur changement dadresse à de multiples
administrations : bureau de poste, listes électorales, inscriptions scolaires,
branchements électriques et téléphoniques, rôles dimpôts, Sécurité sociale,
caisse dallocations familiales, fichier de cartes grises, caisses de retraite, etc.
Mais le début dune cohabitation ne saccompagne daucune formalité, bien
quelle ouvre divers droits sociaux, notamment en matière dassurance-maladie.
La source essentielle dinformations sur ce phénomène devrait donc être la
Sécurité sociale, qui gère aussi la notion d" enfants à
charge ". De même que l'état civil, institué pour des raisons juridiques, est
devenu ensuite la source statistique principale de l'évolution des populations, le
traitement statistique des cartes dayant-droit à la Sécurité sociale,
convenablement normalisées, devrait permettre de suivre et détudier la
constitution et léventuelle séparation des couples, mariés ou non, ainsi que la
naissance et le départ du foyer des enfants successifs. Les droits ouverts par la
détention dune carte mise à jour permettraient de faire participer la population
à la qualité de l'information collectée. La principale novation par rapport à la
situation actuelle consisterait à "coupler" les parents (mariés ou non,
biologiques ou non), qui travaillant l'un et l'autre, détiennent séparément des droits
à la Sécurité sociale. Il s'agirait de rendre cohérentes, sans forcément les
uniformiser, les règles du fisc et de la Sécurité sociale, dont la séparation
théorique est sérieusement mise à mal depuis que la multiplication des prestations
sociales soumise à des conditions de ressources oblige les caisses à demander aux
éventuels bénéficiaires leurs déclarations de revenus et certificats de
non-imposition.
Les expériences de plusieurs pays démocratiques qui ont institué des
registres communaux de la population devraient être en tout cas mieux connues en France.
A lheure des réseaux de télécommunications et des autoroutes de
linformation, une réflexion sur les registres de population, les fichiers de
Sécurité sociale et la périodicité des recensements simpose en France.
Une " remise à plat " de la politique familiale
est nécessaire, qui fasse le point de la confusion actuelle, puis qui programme
lentrée en vigueur dun nouveau système de prélèvement/allocations sur les
ménages, doté dune certaine souplesse régionale et locale, qui redonne plus
dimportance à des barèmes progressifs et familiaux, atténue les conditions de
ressources, recrée une allocation au premier enfant, diminue la taxation des revenus les
plus bas, par exemple en insérant dans le calcul de la CSG et des autres prélèvements
proportionnels des mécanismes dabattement à la base pour en exonérer la partie
basse du revenu, à concurrence du revenu minimum.
En un mot, il faudrait augmenter les taxations, y compris locales,
fondées sur le niveau de vie du foyer, et diminuer celles fondées sur les ressources et
dépenses individuelles. Le système actuel, qui fait beaucoup appel à la commodité du
"prélèvement à la source", donne une trop grande place aux situations
individuelles et une place insuffisante aux situations familiales. Il profite aux plus
malins, qui se reposent ainsi sur leurs concitoyens des charges d'éducation des enfants,
de protection des malades et d'assistance aux vieillards. La construction de l'Europe et
la création de l'euro pourraient fournir l'occasion d'un vaste rééquilibrage, si les
Quinze voulaient bien s'entendre pour faire converger leurs systèmes fiscal et social
vers un idéal décentralisé, dont la cohérence serait vérifiée en commun.
Michel Louis LÉVY
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