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Michel Louis Lévy
Administrateur de l'INSEE, en retraite
Membre du Conseil de surveillance de la CNAF
Co-fondateur et ancien président du Cercle de Généalogie Juive
Membre fondateur de Judeopedia.org

 

Pour mettre fin au chômage des jeunes
(Sociétal, n°6, octobre 1997)

Michel Louis LÉVY ([1])

La cause du chômage massif qui frappe la France, et spécialement ses jeunes générations, est parfaitement connue. C’est le niveau trop élevé, non pas du coût du travail, ce qu’une dévaluation suffirait à corriger, mais du coût salarial des débutants, ou coût de l’embauché. Pour ce qui concerne le salaire direct, ceci remonte aux accords de Grenelle de 1968, qui ont fixé un SMIG, devenu SMIC, trop haut, avec un mécanisme d’indexation imaginé par temps d’inflation et de plein emploi, beaucoup trop rapide, ce qui a accentué la surestimation au fil du temps. Pour ce qui concerne les charges salariales, cela remonte à l’année précédente,1967, quand les ordonnances Pompidou ont créé des caisses nationales distinctes (CNAV-TS, CNAM, CNAF) pour la Sécurité Sociale et l’UNEDIC pour le chômage. Il est vrai que les prestations, les dépenses, liées à ces quatre « risques » obéissent à des logiques complètement différentes, ce qui paraissait justifier cette séparation. Mais leurs recettes puisent à la même et unique source, les salaires. Or aucune procédure, ni démocratique, ni technocratique, ni concurrentielle n’a été prévue pour examiner l’équilibre d’ensemble, ce qui a conduit, déficit après déficit, fuite en avant après fuite en avant, à céder indéfiniment aux exigences de multiples lobbys syndicaux - patrons, médecins, ouvriers, employés et autres « partenaires sociaux » - c’est-à-dire à augmenter indéfiniment le prétendu « budget » social et les taux de cotisations salariales. Or celles-ci pèsent dès le premier franc de salaire, qu’elles soient plafonnées, comme beaucoup l’étaient encore à l’époque, ou qu’elles soient déplafonnées, comme elles le sont devenues. On a donc créé un système dans lequel les plus bas salaires sont à la fois trop élevés et trop chargés, de plus en plus élevés et de plus en plus chargés. L’embauche est devenue hors de prix et l’incitation à la non-déclaration, c’est-à-dire au travail noir, est devenue de plus en plus forte. Que faire ?Du côté du salaire minimum, il est exclu de le supprimer, et même de le diminuer. En revanche, on peut décider de le bloquer à son niveau actuel et de faire dépendre toute augmentation future de la baisse préalable du chômage. Surtout, il faudrait revenir à la notion originelle de salaire minimum horaire, rémunérant l’heure de travail non qualifié. Maintenant qu’il existe un R.M.I., ce qui devrait signifier revenu minimum individuel , celui-ci devrait être défini comme le produit du salaire horaire minimal par un nombre d’heures de travail correspondant à un temps partiel, par exemple 19 heures par semaine ou 80 heures par mois.Mais c’est surtout du côté des charges sociales que l’action est possible, urgente, déterminante. Puisque c’est le coût salarial des débutants qu’il faut réduire et puisqu’il existe un revenu minimum, il faut se fixer comme but la suppression complète des charges pesant sur la partie du salaire correspondant au R.M.I., celles-ci devant être alors calculées sur la partie de salaire supérieure au R.M.I. On commencerait par la C.S.G. - R.D.S., avant de s’attaquer aux allocations familiales prises globalement, c’est-à-dite cotisation nette de prestations. Une difficulté, dans la confusion actuelle, est que la cotisation d’allocation familiales est formellement une cotisation patronale, passons.Supposons un R.M.I. de 4000 F/mois et une CSG de 3%. La charge supprimée serait de 120 F/mois, soit 1440 F/an. La CSG continuant d’être perçue comme actuellement, cette somme - qu’on pourrait appeler « prime à l’emploi » suivi du nom du Premier Ministre qui l’instituera - serait remboursée chaque année par le fisc pour les ménages soumis à l’impôt sur le revenu - deux fois pour les ménages à deux salaires - et par les caisses d’allocations familiales, qui versent déjà le R.M.I., pour les autres. Comme il s’agira d’un remboursement partiel de CSG, la déclaration nécessaire poour toucher cette prime incitera au blanchîment du travail noir.Pour financer cette prime, deux voies se présentent. La plus simple est évidemment d’augmenter le taux nominal de la cotisation correspondante. Si le salaire moyen est de n fois le R.M.I., disons10 000 F/mois (n = 2,5), si on voulait compenser les 120 F remboursés, il faudrait augmenter le taux actuel de 1,2 point, soit 3% (taux hypothétique de la CSG) divisé par n. On passerait de 3% du salaire mensuel brut à (4,2% - 120 F). Dans cette hypothèse, les hauts salaires, ou plus exactement les salaires supérieurs au salaire moyen, supporteraient l’allègement décidé.Pour atténuer cette augmentation, une autre décision, politiquement plus difficile, s’imposerait, qui est d’augmenter le rendement de l’impôt progressif sur le revenu, net des allocations familiales. C’est politiquement difficile, non seulement parce que c’est apparemment l’inverse de la politique affichée par tous les gouvernements depuis 1986 (y compris celui de M. Juppé, qui a eu tort de faire de la baisse de l’impôt direct son principal argument électoral), mais surtout parce qu’il s’agirait de faire payer l’impôt par des ménages au revenu modeste, qui en ont été démagogiquement exonérés. Cette population qui deviendrait imposable serait faite de salariés qui touchent un salaire supérieur au R.M.I. mais inférieur au salaire moyen, population qui bénéficierait par ailleurs d’une baisse de la CSG. Il s’agit d’une part d’intégrer l’impôt direct, la CSG-RDS et les allocations/cotisations familiales, d’autre part de rendre cohérents les minima sociaux ( R.M.I., SMIC, revenu minimum imposable). C’est certainement délicat. Dans un article récent de Sociétal (n°3, décembre 1996, p.41), André Babeau a examiné la progressivité de l’impôt sur le revenu. Il faudrait faire de même pour l’ensemble fiscalo-social cité impôt direct, CSG-RDS et allocations/cotisations familiales. Diminuer la progressivité de l’actuel impôt sur le revenu n’est pas contradictoire avec augmenter celle de cet ensemble plus vaste. Une des décisions à prendre sera d’unifier les formules permettant de passer de la somme des revenus individuels au revenu imposable : si le deuxième adulte d’un ménage compte pour une part fiscale entière dans le calcul du quotient familial, alors le revenu minimum d’un couple devrait être deux fois le revenu minimum individuel.Les gouvernements ont jusqu’ici reculé devant l’obstacle et ont donné à la France la plus faible proportion de toute l’Union européenne de l’impôt direct dans l’ensemble des prélèvements obligatoires. Pour expliquer l’échange - payer moins de C.S.G., toucher plus d’allocations familiales, mais payer plus d’impôt direct - il faudra populariser le total impôt + CSG + RDS + cotisation d’allocation familiale - allocations familiales, de manière que les ménages, et notamment ceux actuellement exonérés de l’impôt sur le revenu, mais non de la C.S.G, puissent comprendre et calculer ce qu’ils payent et reçoivent avant et après la réforme. De ce total seraient publiés les barèmes actuel et futurs, bien détaillés par niveaux de revenus global, par sources de revenu (un ou deux salaires, travail ou patrimoine) et par configuration familiale. 
Cette politique, techniquement compliquée, suppose une institution pour la conduire. En France, le dialogue social est distingué du dialogue politique et les « partenaires sociaux » ne s’expriment pas au Parlement. Les enceintes prévues pour accueillir ce dialogue (Conseil économique et social, Commissariat du Plan…) sont mal utilisées, si bien que des structures ad hoc (Commissions des sages, Conseils supérieurs, Tables rondes, Sommets sociaux… ) sont indéfiniment inventées. La Conférence de la Famille (Rapport GISSEROT) vient encore de réclamer la création d’un Observatoire de la Famille. Il manque en fait, au ministère des Affaires sociales, une Direction de la Population et de la Famille, qui animerait et coordonnerait les travaux de l’administration fiscale, des services statistiques des ministères sociaux, des services d’étude des Caisses nationales de Sécurité sociale, des centres de recherche publique (INSERM, INED, CSERC…) et de l’Université et dont une des fonctions serait de préparer et de relayer dans l’opinion le débat annuel du Parlement sur le financement de la Sécurité sociale institué par le Plan Juppé.Il est parfaitement possible en France de faire reculer le chômage, de rétablir à terme le plein emploi, d’asphyxier le Front National, d’entrer la tête haute dans la monnaie unique. Il suffit de le décider. 

([1] ) Directeur de la Communication de l’INED. Rédacteur en chef de Population & Sociétés


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