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Michel Louis Lévy
Administrateur de l'INSEE, en retraite
Membre du Conseil de surveillance de la CNAF
Co-fondateur et ancien président du Cercle de Généalogie Juive
Membre fondateur de Judeopedia.org

 

La démographie dans le conflit israélo-palestinien

Commentaire, n°  104, hiver 2003-2004, p. 941-951

 

Sergio DellaPergola

Michel Louis Lévy

 

La présence des Juifs en Palestine, région du Proche-Orient qu’ils nomment Erets Israel et les Chrétiens Terre Sainte, ne s’est jamais démentie depuis l’Antiquité, non plus que leur aspiration, aussi dispersés fussent-ils dans les mondes babylonien, chrétien et musulman, à y rétablir leur souveraineté. Quand Bonaparte, dont les connaissances bibliques sont celles de tout enfant des Lumières, conquiert l’Égypte et investit la Palestine, il joue de ce sentiment :

 Proclamation à la nation Juive
1er floréal, an VII de la République Française (20 avril 1799)
Bonaparte, commandant en chef des armées de la République Française
en Afrique et en Asie, aux héritiers légitimes de la Palestine :

Israélites, nation unique que les conquêtes et la tyrannie ont pu, pendant des milliers d'années, priver de leur terre ancestrale, mais ni de leur nom, ni de leur existence nationale […]

La Providence m'a envoyé ici avec une jeune armée, guidée par la justice et accompagnée par la victoire. Mon quartier général est à Jérusalem et dans quelques jours je serai à Damas, dont la proximité n'est plus à craindre pour la ville de David.

Héritiers légitimes de la Palestine ! La Grande Nation qui ne trafique pas les hommes et les pays selon la façon de ceux qui ont vendu vos ancêtres à tous les peuples (Joël 4.6) ne vous appelle pas à conquérir votre patrimoine. Non, elle vous demande de prendre seulement ce qu'elle a déjà conquis avec son appui et son autorisation de rester maître de cette terre et de la garder malgré tous les adversaires. […]

Montrez que deux mille ans d'esclavage n'ont pas réussi à étouffer ce courage. Hâtez-vous! C'est le moment qui ne reviendra peut-être pas d'ici mille ans, de réclamer la restauration de vos droits civils, de votre place parmi les peuples du monde. Vous avez le droit à une existence politique en tant que nation parmi les autres nations. Vous avez le droit d'adorer librement le Seigneur selon votre religion (Joël 4.20). 

Le Moniteur Universel de Paris, le 22 mai, s’enflamme : "Bonaparte a publié une proclamation par laquelle il invite tous les Juifs de l'Asie et de l'Afrique à se ranger sous sa bannière en vue de rétablir l'ancienne Jérusalem. Il a déjà armé un grand nombre, et leurs bataillons menacent Alep." On sait que les pestiférés de Jaffa et la flotte anglaise firent échouer l’affaire devant Saint-Jean d’Acre.  

Le retour à Sion

A l’époque, il n’y a guère en Palestine que 7 000 Juifs et 22 000 Chrétiens orientaux sur une population d’environ 275 000 habitants ([1]), artisans, boutiquiers, paysans et pêcheurs arabes sous la coupe de propriétaires et fonctionnaires turcs ottomans. Au long du XIX° siècle, le jeu des puissances européennes et le développement des nationalismes font du Proche-Orient un pôle stratégique et un carrefour commercial, à l’intérêt accru par le percement du Canal de Suez (1869). De nombreux courants migratoires y convergent, dont celui des premiers pionniers “ sionistes ”, qui, chassés par les pogroms russes et soutenus par de riches philanthropes occidentaux, défrichent les marécages de la plaine côtière et en éradiquent la malaria.  Tandis que l’Affaire Dreyfus suscite la vocation du journaliste viennois Theodor Herzl, auteur visionnaire de L’État des Juifs (Der Judenstaat, 1896), le nombre des Juifs de Palestine dépasse progressivement celui des Chrétiens. A la veille de la guerre de 1914, sur près de 700 000 habitants, il n’y pas loin de 100 000 Juifs (tableau 1). 

Tableau 1. Population de la Palestine géographique 1800 –2000 (milliers)

Année

Juifs

Chrétiens

Musulmans

Total a

1800

       7

  22

   246

   275

1890

     43

  57

   432

   532

1914

     94

  70

   525

   689

1922

     84

  71

   589

   752

1931

   175

  89

   760

1 033

1947

   630

143

1 181

1 970

1960

1 911

  85

1 090

3 111

1967

2 374

102

1 204

3 716

1975

2 959

116

1 447

4 568

1985

3 517

149

2 166

5 908

1995

4 522

191

3 241

8 112

2000

4 969

217

3 891

9 310

a) Y compris “autres” : Druzes, autres petites minorités religieuses, et depuis 1990, originaires de l’ex-URSS.
Non compris les travailleurs étrangers temporaires ou irréguliers.

La guerre précipite la chute de l’Empire ottoman. L’armée anglaise d’Allenby occupe Gaza et Jérusalem. Le 2 novembre 1917, le gouvernement anglais publie la “ Déclaration Balfour ” : “ Le gouvernement de Sa Majesté envisage favorablement l'établissement en Palestine d'un foyer national pour le peuple juif, et emploiera tous ses efforts pour faciliter la réalisation de cet objectif, étant clairement entendu que rien ne sera fait qui puisse porter atteinte ni aux droits civils et religieux des collectivités non juives existant en Palestine, ni aux droits et au statut politique dont les Juifs jouissent dans tout autre pays.

En 1922, la Société des Nations confie l’administration de la Palestine (“ Mandat ”) à la Grande-Bretagne, la France étant chargée, elle, de la Syrie et du Liban. Les convulsions politiques en Europe, consécutives à la dislocation des Empires russe, austro-hongrois, allemand et ottoman, vont bientôt s’exacerber avec la montée des régimes fascistes et antisémites, qui débouche sur l’absurde et criminelle entreprise hitlérienne de persécution, d’expulsion, et finalement d’extermination des Juifs d’Europe, dont bon nombre s’enfuient, vers la France, les États-Unis, l’Amérique latine, …et la Palestine. De 1919 à 1948 le nombre total d’immigrants est de l’ordre de 450 000, dont un tiers venus essentiellement de Pologne dans les années 1934-1936. Combinée à la modernité de l’administration britannique, cette immigration impulse un vif progrès économique, agricole et sanitaire qui a pour effet de stimuler l'emploi arabe ainsi que l'immigration des pays voisins : le peuple palestinien se constitue surtout d’Égyptiens, de Syro-libanais, d’Irakiens, etc., tout comme la population parisienne est faite surtout de provinciaux et d’étrangers. Mais une opposition arabe, souvent violente, s’affirme et obtient de l’administration britannique plusieurs limitations successives de l’immigration juive légale, ce qui ne fait que développer l’immigration juive clandestine.

De 1941 à 1945, la Shoah fait 6 millions de morts et une infinité de traumatismes physiques, psychologiques et familiaux. En 1947, sur une population d'environ 2 millions d’habitants, il y a en Palestine près de 1,2 millions de Musulmans (60%), environ 650.000 Juifs (32%)  et environ 150.000 Chrétiens (7%). Le 29 novembre 1947, l'Assemblée générale des Nations Unies approuve la résolution 181, qui partage le territoire de l'ancien Mandat britannique sur la Palestine pour y établir un État juif sur 55 % du territoire et un État arabe sur le reste. Des dispositions particulières concernent la région de Jérusalem et Bethléem. La partie juive accepte ce partage territorial que les États arabes rejettent. L’État d’Israël est proclamé le 14 mai 1948. 

Guerre et armistices 

Les armées égyptienne, syrienne, irakienne et transjordanienne  envahissent alors la Palestine et déclenchent la guerre d’indépendance d’Israël, qui dure 13 mois. La Hagana (Défense, en hébreu), armée juive officieuse, devenue Tsahal (acronyme hébreu de l’expression “ armée de défense d’Israël ”) après l’absorption des milices de partisans (Stern, Irgoun…), riposte victorieusement et élargit sensiblement le territoire attribué par le partage. Les lignes d’armistice (accords de Rhodes, février et avril 1949) reconnaissent au nouvel Etat un territoire de 20 792 km2, au lieu des 16 114 km2 du Plan des Nations Unies : de  la plaine côtière, Israël s’étend dans le Néguev (Désert du Sud) jusqu'à la Mer Rouge, à l’Est vers Jérusalem, la Mer Morte et le Jourdain, au Nord vers la Galilée et les frontières du Liban et de Syrie. L'Egypte garde la Bande de Gaza ; la Transjordanie se voit attribuer la Judée et la Samarie bibliques, région dénommée par symétrie Cisjordanie (en anglais West Bank, Rive occidentale [du Jourdain]). La plus grande partie de Jérusalem, y compris la Vieille Ville, est comprise dans ce territoire qui devient la Jordanie, tout court.  

Plus de la moitié de la population arabe, 625 à 675 000 personnes selon les sources israéliennes, 700 à 800 000 selon les sources palestiniennes, quittent leurs villages et se réfugient pour l’essentiel en Cis- et en Transjordanie, dans la bande de Gaza et au Liban. Environ 155 000 restent dans le territoire de l’État d’Israël. Selon les Israéliens, leur fuite a été le plus souvent volontaire, encouragée par les dirigeants arabes et perçue comme provisoire, dans le cadre d'une guerre dont Israël n'a pas pris l’initiative. Selon les Palestiniens, c’est un exode provoqué et prémédité par l’armée israélienne. Un partage pacifique aurait certainement prévu des déplacements de population négociés mais aussi des accords d’établissement, précisant le statut et garantissant la sécurité tant des Arabes restant en Israël que des Juifs restant en Cisjordanie et à Gaza.  

Cela ne se fit pas, cela ne s’est pas encore fait et n’est toujours pas en vue. Les armistices de 1949 ne font que constater le problème des réfugiés palestiniens , administrés par l’UNRWA (United Nations Relief and Works Agency for Palestine refugees in the Near East). Mais tandis que le HCR, Haut Commissariat pour les Réfugiés, a pour mission de soulager les multiples drames individuels causés par toutes sortes de conflits de par le monde, l’UNRWA est en attente de la solution, indéfiniment reportée, d’un problème politique, collectif pour le monde arabe, qu’Israël espère diviser en autant de problèmes qu’il y a de pays arabes souverains..  

Quant aux réfugiés qui peuplent Israël après l’Indépendance, ils ne viennent plus majoritairement d’Europe mais affluent d’Égypte, d’Irak, du Yémen, de Turquie, d’Iran, puis du Maroc, de Tunisie et d’autres pays arabes ou musulmans agités par la décolonisation et le nationalisme. L’antisionisme musulman remplace ainsi l’antisémitisme chrétien comme moteur du peuplement d’Israël. Le Maroc devient le deuxième pays de provenance des Israéliens, après la Pologne. Alors que les immigrants ashkénazes étaient attachés à un certain socialisme que symbolisaient les villages collectifs, les kibboutzim, ces nouveaux immigrants sefarades vont plutôt alimenter une droite populiste qui dénonce la discrimination dont ils seraient victimes de la part des premiers arrivés. 

On n’a pas fini d’avoir à déplorer la disparition presque totale des communautés juives des pays arabes et musulmans. La prospérité de communautés juives en terre d’Islam avait été un élément du rayonnement de celui-ci dans le Haut Moyen Âge et les souverains musulmans les plus avisés ont toujours compris les bienfaits que les Juifs apportaient à leurs pays. Leur retour confiant, comme celui des Occidentaux, serait un signe de l’accès du monde arabe et musulman à la modernité bien meilleur que l’hostilité systématique à Israël et au projet sioniste. Sans doute faudrait-il que celui-ci restreigne ses ambitions à une souveraineté juive dans la partie de la Palestine devenue Israël et à une présence juive paisible dans l’autre. Toujours est-il que la création de l’État d’Israël a transformé en “ Juifs israéliens ” ceux qu’on désignait jusque là comme “ Juifs palestiniens ”, par opposition aux “ Juifs de la Diaspora ”. L’appellation de “ Palestiniens ” a été réservée aux Arabes de Palestine, musulmans ou chrétiens mais non juifs, résidents ou exilés, réfugiés ou non. On parle cependant des “ Arabes israéliens ”, citoyens du nouvel État qui n’en partagent pas les valeurs sionistes, ayant le droit de vote mais non les obligations militaires.  

Le conflit israélo-arabe 

En novembre 1956, la France et l’Angleterre alliées à Israël montent l’expédition de Suez contre l’Égypte panarabe de Nasser, qui a nationalisé le Canal de Suez et barré la route du pétrole, et qui donne asile tant aux fedayn (combattants) qui harcèlent Israël qu’aux chefs de l’insurrection algérienne, déclenchée deux ans plus tôt. Les Etats-Unis, en pleine réélection du Président Eisenhower, et l’URSS de Boulganine et Khrouchtchev, qui fait face à la révolte de Budapest, froncent les sourcils et l’affaire tourne au fiasco.  L’antique communauté juive d’Égypte, accusée de collusion avec les trois pays agresseurs, est alors expulsée et s’éparpille dans ces trois pays, Israël, France et Angleterre, ainsi qu’en Italie, aux États-Unis, en Amérique latine… Chaque crise qui sépare ceux qui partent en Israël et ceux qui partent en Occident renforce la solidarité entre les Juifs d’Israël et ceux de la Diaspora, et à l’inverse affaiblit la distinction entre antisionisme et antisémitisme. 

En 1962, les Juifs d’Algérie choisissent en majorité de s’installer en  Métropole, ce qui modifie profondément la sociologie de la communauté juive française. Jusque là composée d’ “ Israélites ” intégrés dans la laïcité française et réservés à l’égard de l’entreprise sioniste, malgré la persécution subie pendant le régime de Vichy, elle accueille de nombreux “ Pieds-Noirs ” qui accordent à Israël un soutien actif. Or en 1967, le Général de Gaulle, profitant du règlement du problème algérien pour rétablir une traditionnelle “ politique arabe ”, concurrente naguère des Anglais, désormais des Américains, décrète à l’encontre d’Israël l’embargo sur les armes, à la veille de la guerre des Six jours. Ce retournement d’alliances jette l’État juif dans les bras des États-Unis, au moment où il se rend maître de la Vieille Ville de Jérusalem, donnant corps, au son du chofar, à un rêve millénaire qui retentit profondément dans les âmes juives du monde entier. Un peu plus tard, la célèbre phrase gaullienne sur “ le peuple d’élite, sûr de lui et dominateur ” prend ce sentiment à revers et donne une teinture antisémite à une politique qui se veut désormais “ équilibrée ” entre Arabes et Israéliens. Quelque 150 000 nouveaux réfugiés fuient la Cisjordanie et la Galilée. L’Organisation de Libération de la Palestine (O.L.P.), se crée en 1964 et se fait connaître par de spectaculaires détournements d’avions et attentats (Jeux Olympiques de Munich, 1972). Mais Israël, qui occupe la Cisjordanie, Gaza et le Sinaï, apparaît désormais comme une puissance militariste et expansionniste et commence à perdre la sympathie que lui avait acquise en Occident son image de petit pays où les victimes de la Shoah retrouvaient un foyer et où de hardis pionniers faisaient reverdir le désert.  

L’Égypte retourne aussi ses alliances. Sous la conduite d’Anouar El Sadate, elle rompt avec les Soviétiques et se tourne vers les États-Unis. Puis en octobre 1973, le jour de Kippour, l’armée égyptienne franchit le Canal de Suez et bouscule les défenses israéliennes. Une terrible bataille de chars s'engage avec l’armée syrienne qui a ouvert un second front sur le plateau du Golan. Les pays arabes et musulmans producteurs de pétrole (OPEP), de leur côté, font pression sur l’Occident en en restreignant la production, d’où un envol des prix. C’est le premier choc pétrolier.  Un nouvel armistice est conclu avec la Syrie. Mais Sadate, satisfait d’avoir rétabli l’honneur de son armée, entreprend une visite historique à Jérusalem (novembre 1977) et signe, après les négociations de Camp David sous l’égide du Président Carter, un traité de paix avec Israël (1979) qui rend le Sinaï à l’Egypte. Mais ce traité ne règle en rien la question palestinienne et reste mal compris de l’opinion arabe. Le jour d’octobre 1981 où il fête le huitième anniversaire de sa victoire, Sadate est assassiné.   

En 1982, les harcèlements continus sur la frontière nord entraînent Israël à de nouvelles représailles au Liban. Tsahal campe alors à Beyrouth et en expulse l’O.L.P. qui se réfugie à Tunis, avec l’aide active de la France. Les massacres des camps palestiniens de Sabra et Chatila, perpétrés par les milices chrétiennes libanaises sous les yeux de l’armée israélienne, soulèvent alors la réprobation internationale et jettent l’opprobre sur le ministre Ariel Sharon, organisateur de l’offensive.  

En 1987, les Palestiniens déclenchent un premier soulèvement populaire (Intifada). Mais l’attention du monde est accaparée par la dislocation de l’Union soviétique, symbolisée par la chute du mur de Berlin (9 novembre 1989), qui bouleverse l’équilibre géostratégique mondial et a, entre autres conséquences, celle de provoquer un nouvel afflux migratoire en Israël. Entre 1989 et 1996, près de 700 000 personnes émigrèrent de Russie et des autres Républiques soviétiques en Israël où ils constituent désormais le groupe national le plus important du pays. Au total, de la création de l’État à fin 2001, l’immigration juive aura totalisé 2 950 000 personnes (cf. figure 1).  

FIGURE 1.  Immigrés juifs vers Israël, 1919-2001 

Nombres absolus et taux pour 1000 résidents

 

Pendant la guerre du Golfe (janvier-février 1991), l’Irak de Saddam Hussein lance une série de missiles “ Scud ” sur Israël, qui n’est pas belligérant. Peu après, une négociation secrète s’engage à Oslo et aboutit, le 13 septembre 1993, à Washington, sous l’égide du Président Bill Clinton, à la reconnaissance mutuelle de l’État d’Israël, représenté par son Premier Ministre Itzhak Rabin, et de l’ “Autorité palestinienne ”, représentée par son Président Yasser Arafat. L’année suivante, Israël signe la paix avec la Jordanie, qui a renoncé à toute souveraineté sur la Cisjordanie. Mais Rabin est à son tour assassiné, par un extrémiste juif, le 4 novembre 1995. Partisans (Peres, Barak) et adversaires des négociations (Netanyahu, Sharon) alternent alors au pouvoir à Jérusalem tandis que les Palestiniens déclenchent en septembre 2000 une deuxième Intifada, ponctuée d’attentats-suicides meurtriers contre la population civile en Israël même.  

Deux peuples, deux diasporas 

Pendant la courte période d’espoir qui suivit les accords d’Oslo, les bâtisseurs de la paix mesurèrent l’immense difficulté de leur entreprise, mais aussi les atouts dont ils disposaient, par exemple de bonnes statistiques démographiques, plus complètes évidemment pour les Israéliens, mais convenables pour les Palestiniens, grâce à l’UNRWA, à l’O.L.P. et à l’Autorité palestinienne, qui allait organiser un recensement en 1999. Le temps manqua pour mieux comprendre puis pour réduire les fantasmes réciproques, démographie galopante des Palestiniens, inépuisable solidarité de la Diaspora juive, notamment américaine. Il faudra bien cependant analyser par exemple les mouvements migratoires des Arabes palestiniens, distinguer Musulmans et Chrétiens, paysans et professions intellectuelles, et faire comprendre ce qu’a d’ambivalent l’“ occupation ” israélienne, certes cause de douloureux exodes mais aussi source d’emplois multiples et de promotion sociale.  Ainsi pendant les années 60, environ 140 000 Palestiniens ont émigré de Cisjordanie (alors en Jordanie). De 1967 à 1989, jusqu'à 200 000 ouvriers palestiniens frontaliers travaillaient en Israël mais c’est essentiellement vers les États du Golfe que s’est dirigée l’émigration palestinienne : 171 000 de Cisjordanie, 114 000 de Gaza. Après la guerre du Golfe, environ 30.000 Palestiniens sont revenus, et de nouveau 30 000, après les accords d'Oslo, pour les besoins de la police et de l'Autorité palestiniennes.  

En 2000, 9 sur 45 “ Régions naturelles ” ([2]) d’Israël ont une majorité arabe dans les parties nord-ouest et centrale de la Galilée, en Israël du Nord, et le long de la Cisjordanie dans les régions centrales d’Israël. Dans l’ensemble de ces zones, environ 610 000 Arabes représentent un peu plus des trois quarts de la population et les Juifs un petit quart, habitant en général dans des bourgades ou villages séparés.  

TABLEAU 2.  JUIFS ET ARABES EN ISRAËL - PALESTINE, 2000 

Région

Nombres (milliers)

 

 

Pourcentage

 

 

Juifs

Arabes

Total

 

Juifs

Arabes

Total

Total général

5 180,6

4 213,7

9 394,3

 

55,1

44,9

100,0

Total Israël

4 982,4

1 188,7

6 171,1

 

80,7

19,3

100,0

Frontières d’avant 1967

4 794,6

   965,3

5 759,9

 

83,2

16,8

100,0

Districts à majorité juive

4 608,4

   355,6

4 964,0

 

92,8

7,2

100,0

Districts à majorité arabe

   186,2

   609,7

   795,9

 

23,4

76,6

100,0

Frontières d’après 1967

   187,8

   223,4

   411,2

 

45,7

54,3

100,0

Hauteurs du Golan

     15,8

     19,0

     34,8

 

45,4

54,6

100,0

Jérusalem-Est

   172,0

   204,4

   376,4

 

45,7

54,3

100,0

Total Territoires palestiniens

   198,2

3 025,0

3 223,2

 

6,1

93,9

100,0

Cisjordanie

    191,5

1 878,0

2 214,5

 

8,6

91,4

100,0

Gaza

        6,7

1 147,0

1 153,7

 

0,6

99,4

100,0

Avec l’Intifada de 1987, les restrictions mises aux déplacements des Palestiniens ont réduit progressivement l’emploi frontalier et provoqué un important déclin des revenus et des niveaux de vie palestiniens. Après un rétablissement partiel liés aux accords d’Oslo, l’Intifada de 2000 a réduit à presque rien les échanges israélo-palestiniens de main-d’œuvre. Cherchant une main d'œuvre de remplacement, l'économie israélienne a engagé un nombre croissant de travailleurs immigrés ni juifs ni arabes (Roumains, Philippins…) à la situation souvent précaire. En 2000, leur nombre est estimé à environ 250 000. Cette situation est évidemment absurde, alors qu’à quelques pas de là, s’entassent à Gaza des centaines de milliers de chômeurs, qui ne demandent qu’à travailler.

Les 200 000 résidents juifs des Territoires palestiniens représentent 9% de la population en Cisjordanie et moins de 1% à Gaza. Soumis à une insécurité permanente, ils sont le plus souvent astreints à une protection militaire, ce qui les fait dénoncer par les Palestiniens comme des “ occupants ” et par l’opinion occidentale comme des “ colons ”. 

Juifs et Palestiniens dans le monde   

En 1948, la population juive mondiale était estimée ([3]) à 11,2 millions, dont seulement 650.000 (6%) habitaient en Palestine, et 945 000 (8%) dans le monde musulman du Proche-Orient et d’Afrique du Nord. La grande majorité (86%) habitait l’URSS, l’Europe, Est et Ouest, l’Amérique, Nord et Sud.  L'indépendance d’Israël a bouleversé cette répartition géographique, par les migrations qu’elle a déterminées et aussi par les changements apportés à la dialectique entre affirmation juive et assimilation. La population juive mondiale s'est développée plutôt lentement depuis la Deuxième guerre mondiale, et depuis le milieu des années 70, la croissance de cette population est à peu près nulle.  En 2000, sur un total d’environ 13,2 millions de Juifs, 4,9 millions (37%) vivraient en Israël, seulement 28 000 dans les pays musulmans et le reste (63%) en Amérique du Nord et en Europe ([4]).  

La population palestinienne dans le monde est passée d'environ 1,6 millions en 1948 à environ 8,5 millions en 2000 (9,3 millions fin 2002 selon les chiffres du PCBS palestinien), ce qui représente un accroissement moyen de 3,3% par an, un doublement tous les 21 ans. Environ la moitié des  Palestiniens - plus de 4,1 millions, ou 48% - vivent dans la Palestine géographique : 1,1 million en Israël (ce sont les Arabes israéliens), 1,9 million en Cisjordanie, 1,1 dans la bande de Gaza. Le nombre de réfugiés (1999), au sens de l’UNRWA, est de 580 000 en Cisjordanie (31% de la population palestinienne locale) dont 160 000 vivent dans des camps, et de 818 000 (73%) à Gaza, dont 450 000 dans des camps. 3,7 millions de Palestiniens (44% du total) vivent dans les pays musulmans voisins, les États du Golfe et en Afrique du Nord - plus de 60% d'entre eux en Jordanie. Il y a 1 550 000 réfugiés palestiniens en Jordanie, dont 280 000 vivent dans des camps, 380 000 au Liban, dont 210 000 dans des camps, 380 000 en Syrie dont 110 000 dans des camps. Le nombre total de réfugiés palestiniens, en Palestine et hors Palestine, est de 3,7 millions, dont 1,2 vit dans des camps de réfugiés. Pour le PCBS, fin 2002, les 9,3 millions de Palestiniens se répartissent en 3,6 millions dans les Territoires palestiniens, 1,0 en Israël, 2,7 millions en Jordanie, 423 000 en Syrie, 403 000 au Liban, 60 000 en Égypte,  578 000 dans les autres pays arabes, 232 000 aux Etats-Unis, 295 000 dans d’autres pays occidentaux.  . 

Compétition démographique 

L’accroissement naturel relatif des populations palestinienne et israélienne a toujours constitué une préoccupation importante et un sujet inépuisable de débats pour les Israéliens, de toute façon plongés dans un environnement exclusivement arabe et soucieux que l’État juif au moins soit à majorité juive. La rapidité de cet accroissement naturel est lié à la combinaison unique au monde de trois facteurs : traditions religieuses soutenant une sorte de compétition démographique, croissance économique et santé publique moderne.  

La fécondité de la population musulmane d’Israël-Palestine, a été supérieure à 10 enfants par femme jusqu’aux années 60. Elle a diminué progressivement jusqu’au milieu des années 80, et est restée stable au long des quinze années suivantes. Elle est encore de 5,5 enfants par femme à la fin des années 1990. Ce processus de baisse de la fécondité est commun à la majorité des pays musulmans, y compris l’Iran islamiste, mais la Palestine garde une “ fécondité de combat ” ([5]) nettement supérieure à la moyenne des populations de développement comparable. De son côté, l’indice de fécondité des Juifs israéliens était supérieur à 4 enfants par femme en 1951 et s’est abaissé au milieu des années 90 à 2,6, mais reste nettement supérieur à celui de tout autre pays développé. Tant chez les Juifs que chez les Arabes existe une variabilité considérable de fécondité entre les sous-groupes. Chez les Juifs sécularisés d’Israël et chez les Arabes chrétiens, la fécondité est voisine de 2 enfants par femme, au dessus des normes occidentales. Mais chez les Juifs ultra-orthodoxes, tout comme à Gaza, elle dépasse 7 enfants par femme ([6]).  

La politique familiale israélienne est modérément nataliste : elle inclut des allocations mère-enfant, des équipements publics éducatifs de qualité et des réglementations assez favorables aux femmes qui travaillent. Elle s’applique à toute la population israélienne sans discrimination.  Par exemple une loi récente (2000) accorde des allocations familiales fortement accrues pour le 5ème enfant et au-dessus. Environ 40% des avantages de cette disposition vont aux familles des nouveaux nés arabes israéliens, alors que ces Arabes israéliens constituent seulement environ 20% de la population israélienne (hors Territoires palestiniens).  Il est vrai cependant que les subventions publiques à l'éducation et au logement sont accordées à des communautés et non à des individus, et que les équilibres politiques israéliens conduisent à favoriser en ce sens les groupes juifs religieux les plus favorables à une forte fécondité. Les faveurs éducatives et financières données à la minorité de Haredi ([7]) peuvent passer pour une forme indirecte d’encouragement à la natalité juive.   

La relativement grande fécondité des populations d’Israël et des Territoires palestiniens détermine leur relativement grande “ jeunesse ” et, hélas, l’implication des adolescents et des jeunes gens dans l’engrenage des attentats et de la répression. A peine le quart de la population actuelle d’Israël - Palestine était née lors de la guerre de juin 1967. En d'autres termes, plus de trois quarts des acteurs et spectateurs du conflit actuel n'étaient pas des témoins directs d'un de ses développements les plus décisifs. Comme la population plus nombreuse en Israël est compensée par la proportion de jeunes plus grande dans les Territoires palestiniens, le nombre des Juifs et des Palestiniens âgés de 15 à 24 ans, les combattants de l’Intifada et de Tsahal, sont d’effectifs comparables, de l’ordre de 800 à 900 000 jeunes hommes et femmes. 

La médecine juive, qui a de tous temps été de grande réputation, crée un des environnements sanitaires les meilleurs du monde, qui profite tant aux Juifs qu’aux Arabes. En Israël, l'espérance de vie à la naissance de la population juive a augmenté de façon comparable à celle des pays occidentaux. Les Arabes israéliens ont suivi le mouvement, commençant à un niveau beaucoup plus bas mais comblant significativement leur écart. Leur taux de mortalité infantile est plus bas que dans tous les pays arabes contemporains, à l'exception possible du Koweït. Et l'amélioration de la santé des Arabes des Territoires palestiniens a été également significative après 1967, bien que plus lente. Il y a aujourd’hui de plus petits écarts entre les Juifs et les Arabes en Israël qu'entre les Arabes en Israël et dans les Territoires palestiniens : vers 1998, en Israël, l’espérance de vie à la naissance des Juifs d’Israël était 76,3 ans pour les hommes et 80,2 ans pour les femmes ; pour les Arabes, 74,2 ans pour les hommes, 77,4 ans pour les femmes ; en Cisjordanie, 71,4 ans pour les hommes et 75,5 ans pour les femmes ;  et dans la bande de Gaza 70,4 ans et 73,4 ans. 

Densité et projections 

L’État d’Israël couvre 21 671 km2 de territoire (plus 474 km2 de lacs), y compris 1 154 km2 des hauteurs du Golan syrien, et environ 73 km2 des environs de Jérusalem qu’il a incorporés en juillet 1967.  Les Territoires palestiniens incluent la Cisjordanie, 5506 km2, et la bande de Gaza, 378 km2, soit au total 5884 km2 . À la fin de 2000, la population totale de l’ensemble Israël - Palestine est estimée à 9,3 millions d’habitants, environ 5 millions de Juifs (53%), près de 3,9 millions de Musulmans (42%), et seulement 200 000 (2%) Chrétiens. Sur ce total, la population totale d’Israël - comprenant les résidents juifs des Territoires palestiniens – s’élève à environ 6 350 000 habitants, dont 4 970 000 Juifs, 200 000 Non-juifs, et 1 178 000 Arabes, la plupart musulmans mais également chrétiens et druzes. Les Territoires palestiniens ont 3 millions d’habitants, 1 845 000 en Cisjordanie et 1 128 000 dans la bande de Gaza. 

Une population totale de 9,3 millions d’habitants rapportée à 28 000 km2, cela fait pour l’ensemble Israël-Palestine une densité moyenne voisine de 335 hab/ km2. L’État d’Israël a une densité moyenne de l’ordre de 300 hab/ km2, intermédiaire entre celles du Japon et du Royaume-Uni. Par districts, les densités vont d’un maximum de 6 887 hab/ km2 pour l’agglomération du Grand Tel Aviv, à un minimum de 37 hab/ km2 pour le district de Beersheva, formé de l’essentiel du désert du Neguev (Sud), qui représente environ 60% du territoire d’Israël. La densité d’Israël sans le district de Beersheva est de 640 hab/ km2. La Cisjordanie a une densité un peu plus élevée que la moyenne nationale israélienne, 335 hab/ km2. Dans la bande de Gaza où vivent 1,1 million de personnes, la densité est proche de 3 000 hab/ km2, de l’ordre de celle de villes-états comme Hong Kong ou Singapour, dont le niveau de développement socio-économique est sans commune mesure. Il y a à Gaza un immense déséquilibre entre la population et l'infrastructure urbaine disponible, pire que celui des banlieues des grandes agglomérations du monde en développement, à commencer par celle du Caire, et porté  ici à son comble par le déficit d’emplois et la tension militaire.  

Les projections présentées dans la communication citée dans la note (1) sont faites sous une hypothèse de migrations nulles, tant entre l’ensemble Israël-Palestine et l’extérieur, qu’entre les différentes zones d’Israël-Palestine, et sous une hypothèse d’évolution favorable de la mortalité : l’espérance de vie des populations juive et arabe continue de s’accroître, conformément aux tendances récentes, d’environ un an toutes les cinq années civiles. Seule la fécondité fait l’objet d’hypothèses variées : dans l’hypothèse “ médiane ”, la fécondité des Juifs reste au niveau de 2,6 enfants par femme constaté en 2000, celle des Arabes part à cette date des niveaux de 4,0 en Israël, 5,4 en Cisjordanie et 7,4 à Gaza pour converger en 2050 vers celui des Juifs, 2,6 enfants par femme. Dans l’hypothèse “ haute ”, la fécondité des Palestiniens reste aux niveaux élevés constatés en 2000 dans les trois zones, dans l’hypothèse “ basse ” elle s’abaisse instantanément à 2,6 enfants par femme.

La population de départ est en 2000 (tableau 3) de 9,3 millions d’habitants, dont 6,3 millions en Israël ([8]) et 3,0 millions dans les Territoires palestiniens, ou encore 5,2 millions de Juifs ([9]) et 4,1 millions d’Arabes. Selon la projection médiane ([10]), elle atteindrait en 2020 les 14,4 millions d’habitants, avec une fourchette basse – haute allant de 12,1 à 15,6 millions : 8,7 en Israël (8,2 – 9,0) et 5,7 millions dans les Territoires palestiniens (4,0 – 6,6) ; ou encore 6,7 millions de Juifs (6,3 – 6,9) et 7,7 millions d’Arabes (5,8 – 8,7).

En 2050, ces chiffres passeraient à un total de 23,5 millions, la fourchette s’élargissant à 15,4 – 36,5 millions : 11,9 en Israël (9,4 – 14,8) et 11,6 millions dans les Territoires palestiniens (6,0 – 21,7) ; ou encore 8,8 millions de Juifs (7,3 – 10,4) et 14,7 millions d’Arabes (8,1 – 26,1). Certains de ces chiffres défient l’imagination, particulièrement ceux des scénarios extrèmes de 2050. Il peut paraître aussi peu vraisemblable de voir la fécondité arabe se maintenir indéfiniment aux niveaux actuels que de la voir s’abaisser instantanément à des niveaux proches de la fécondité juive. Le scénario “ médian ” paraît plus vraisemblable. 

TABLEAU 3.  PROJECTION des POPULATIONS JUIVE ET ARABE EN ISRAËL - PALESTINE, 2000 – 2020 – 2050 (millions) 

Année 
et
projection

Juifs (*)

Arabes 
israéliens

Total
Israël

Total
Territoires
palestiniens

Total
Palestiniens

Grand
Total

 

(a)

(b)

(c)=(a)+(b)

(d)

(e)=(b)+(d)

(f)=(c)+(d)

 

 

 

 

 

 

(f)=(a)+(e)

2000

 

 

 

 

 

 

Haute

 5,201

1,185

 6,386

  3,024

  4,209

  9,410

Médiane

 5,168

1,178

 6,346

  2,973

  4,151

  9,319

Basse

 5,135

1,171

 6,306

  2,696

  3,867

  9,002

2020

 

 

 

 

 

 

Haute

 6,902

2,092

 8,994

  6,570

  8,662

15,564

Médiane

 6,697

1,976

 8,673

  5,680

  7,656

14,353

Basse

 6,296

1,855

 8,151

  3,975

  5,830

12,126

2050

 

 

 

 

 

 

Haute

10,391

4,419

14,810

21,655

26,074

36,465

Médiane

  8,780

3,121

11,901

11,560

14,681

23,461

Basse

  7,323

2,065

  9,388

  6,019

  8,084

15,407

 (*) y compris membres non-juifs des ménages juifs, cas fréquent chez les immigrés de l’ex-Union Soviétique

 Dans ce scénario, la densité de Gaza, déjà voisine de 3000 hab/ km2 en 2000, atteindrait 6200 hab/ km2 en 2020, pour ne pas parler d’une densité de 13 600 hab/ km2 en 2050, qui s’approcherait de la densité actuelle de Paris, voisine de 20 000 hab/ km2. Quant à l’équilibre Juifs / Arabes, il est clair qu’il n’y a que dans le cadre territorial du seul État d’Israël que la majorité juive est fermement établie, au moins jusqu'au milieu du 21ème siècle. La minorité arabe israélienne pourrait alors atteindre les 30%, ce qui se compare avec la minorité turque à Chypre ou albanaise en Macédoine. En revanche pour l’ensemble Israël plus Territoires palestiniens où la majorité juive se limite en 2000 à 53 ou 55%, selon la définition de la population juive, cette courte majorité pourrait basculer vers 2010. Et en 2050, la part des Juifs serait revenue à 35-37%, comme au début des années 1930, pendant le Mandat britannique.  

Ce sont évidemment les migrations qui pourraient changer la donne. A chaque contingent admis de réfugiés de Jordanie ou du Liban, la proportion de Juifs dans la population totale d’Israël et de Palestine diminuerait. S’agissant de l’immigration juive, le tarissement des bassins traditionnels d'émigration implique une diminution probable du volume de migration en Israël pendant les prochaines décennies et un ralentissement de la croissance de la population juive en Israël. Mais toute crise économique ou politique significative des sociétés qui accueillent les grandes communautés juives, toute complaisance à l’égard de l’insécurité y compris antisémite, peuvent faire reprendre à tout moment l’émigration juive vers Israël.  

Aujourd’hui, face à l’implantation d’habitants israéliens dans les Territoires, mais surtout face à l’insécurité, un flux non négligeable de Palestiniens, surtout chrétiens, s’installent chaque année en Jordanie ou émigrent en Amérique. Inversement, le recours au terrorisme contre des civils a clairement pour objectif de démoraliser les Israéliens et de les pousser à l’émigration vers l’Europe et les États-Unis. L’hébreu nomme aliya, “ montée ”, l’émigration vers Erets Israel. L’inverse est la yerida, la "descente", l’émigration hors d'Israël. Le nombre d'Israéliens désireux de quitter le pays, en principe pour faire carrière, quelquefois pour se mettre à l'abri, n’est certes jamais nul : on estime à 15% la proportion moyenne d’immigrants qui, sur le long terme, renoncent à s’établir en Israël ([11]). La complaisance entretenue pour le terrorisme alimente la suspicion israélienne que les Palestiniens gardent l’espoir d’aggraver leur suprématie démographique par une augmentation sensible de ces départs.      

Si la paix règne...

Il faudra bien un jour admettre qu’il puisse y avoir des habitants juifs en Cisjordanie et à Gaza, de nationalité israélienne, palestinienne ou autre, comme il y a des habitants arabes en Israël. Une fois qu’aurait été négocié l’arrêt du terrorisme contre le retrait des Territoires palestiniens de l’armée israélienne, qu’aurait été permise une certaine osmose des populations, en particulier à Jérusalem, qu’aurait été proclamé un État palestinien faisant régner la loi et l’ordre, une structure économique nouvelle, financée par les États-Unis, l’Union Européenne et les pays arabes et musulmans producteurs de pétrole, pourrait succéder à l’UNRWA et être chargée

-     de proposer aux réfugiés palestiniens un choix raisonnable entre le “ retour ” en Palestine, de préférence à Israël, l’intégration dans leur pays d’accueil ou un nouveau départ dans les pays où vit déjà une diaspora palestinienne,

-     de donner les moyens de son développement durable à la Palestine, avec l’aide d’Israël,  et des questions d'intérêt commun aux deux peuples comme l’approvisionnement en eau potable, les réseaux de transports et de communications, l’équipement urbain, la protection de l’environnement...

Si la paix règne, les questions des frontières et de Jérusalem perdent de leur acuité. La complexité de la situation tient aux intérêts enchevêtrés des nombreuses parties en présence. Le rapport des Israéliens avec les Juifs de la Diaspora ne sont pas seulement intellectuels, financiers ou familiaux, ils sont fondamentalement migratoires. De même les rapports des pays d’Europe et d’Amérique avec les pays arabes et musulmans ne sont pas faits seulement de commerce ou de pétrole, ils sont faits de millions de migrants venus chercher en Occident instruction et travail. Si les premiers veulent bien admettre que le sionisme pose problème aux seconds, alors ceux-ci doivent admettre que l’islamisme pose problème aux premiers.

A l’équilibre entre deux États, israélien et palestinien, garantissant la sécurité et les droits de tous leurs habitants, y compris les minorités arabe en Israël et juive en Palestine, doivent donc répondre

-         d’une part un équilibre des pays arabes et musulmans, incluant la Palestine, consacrant leurs ressources et leur ardeur à leur propre développement, ouverts à la coopération internationale et à la compréhension inter-religieuse, luttant contre les menées islamistes internes et externes,

-         d’autre part un équilibre entre un État d’Israël, ayant vocation à servir de refuge aux éventuelles victimes de nouvelles crises antisémites, et une Diaspora apaisée, travaillant à la prospérité des pays, y compris les proches voisins d’Israël, qu’elle a toujours enrichis de ses capacités.

Nous avons commencé par Bonaparte citant le prophète Joël. Itzhak Rabin, lui, le 13 septembre 1993 à Washington, citait l’Ecclésiaste (3, 1 à 8) :  

Il y a un moment pour tout et un temps pour toute chose sous le ciel.

Un temps pour enfanter, un temps pour mourir ; un temps pour planter, un temps pour arracher.  

Un temps pour tuer, un temps pour guérir; un temps pour détruire, un temps pour bâtir.

Un temps pour lancer des pierres,  un temps pour en poser ; un temps pour l’effusion, un temps pour l’abstinence.   […] 

Un temps pour aimer,  un temps pour haïr ; un temps pour la guerre,  un temps pour la paix.

 


 

([1]) L’essentiel des statistiques de ce texte, y compris les tableaux 1 à 3 et le graphique 1, sont extraits de :  Sergio DellaPergola :  “Demography in Israel-Palestine: Trends, Prospects, Policy Implications”, communication au congrès de l’UIESP à Salvador de Bahia, août 2001, mise à jour par l’auteur. Voir aussi les actes du séminaire du 30 novembre 2000 “L’arrière plan démographique de l’explosion de violence en Israël-Palestine ”, Dossiers et recherches n° 90, INED (téléchargeable sur   http://www.ined.fr/rencontres/index.html)

([2]) Subdivision des districts administratifs, établie par le Central Bureau of Statistics, pour des buts d’analyse.

([3]) Sergio DellaPergola : World Jewry Beyond 2000 : The Demographic Prospects. Oxford, Oxford Centre for Hebrew and Jewish Studies, 1999, 78 p.

([4]) Ces travaux sont le plus souvent fondés sur des statistiques émanant des communautés juives organisées, ce qui suppose des Juifs ainsi dénombrés un minimum de pratique identitaire, par exemple le mariage à la synagogue, et ce qui ne prend pas en compte les membres non-juifs des ménages mixtes. On attribue ainsi à la France entre 500 000 et 570 000 Juifs, selon la définition (voir l’enquête d’Erik H. Cohen, dans L’Arche, décembre 2002). D’autres estimations font état de 700 000, à partir d’enquêtes où il suffit de se déclarer “juif ou israélite” pour être compté comme tel. (Voir Michel Louis Lévy  “Le statisticien face aux tabous”, Sociétal, n° 37, 2002).  

([5] ) L’expression est d’Emmanuel Todd : “Après l’Empire”, Gallimard, 2002, p. 43

([6]) Voir Youssef Courbage : “Israël et Palestine : combien d’hommes demain ? “ Population et sociétés, INED, n° 362, novembre 2000. Sur ce sujet, voir également Marwan Khawaja, “La fécondité des Palestiniennes à Gaza, en Cisjordanie, en Jordanie et au Liban”, Population, INED, n° 3, 2003, p. 309-342

([7]) Terme désignant la population juive de stricte observance, estimée à environ 7% du total autour de 2000.

[8] Y compris Jérusalem-Est, le Golan et les habitants israéliens de Cisjordanie et Gaza

[9] Y compris la population ni juive ni arabe des travailleurs récemment immigrés.

[10] Les projections moyennes du Bureau central de statistique palestinien (1999) recoupent convenablement ces résultats. Elles tombent entre les scénarios “médian” et “haut”. Voir le site www.pcbs.org

[11] Voir à ce sujet : “ Ceux qui émigrent de la Terre promise” par Rina Cohen (INALCO), Les cahiers du judaïsme, Alliance Israélite universelle, octobre 2002, p. 108 à 119

 

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