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Michel Louis Lévy
Administrateur de l'INSEE, en retraite
Membre du Conseil de surveillance de la CNAF
Co-fondateur et ancien président du Cercle de Généalogie Juive
Membre fondateur de Judeopedia.org

 

Quel contenu religieux
dans l’enseignement laïque ?
 

mars 2004

Michel Louis Lévy

 

Lundi 19 janvier, à la fin de l’émission de France 2 Cent minutes pour comprendre consacrée à la loi sur les signes religieux ostensibles, Jean-Louis Borloo conclut son débat avec Jack Lang en faisant observer que si la France avait déjà connu dans le passé plusieurs épisodes d’antisémitisme, c’était la première fois qu’elle était confrontée à un « antisémitisme des enfants ».

 

Il n’y a qu’une seule façon de lutter contre un tel fléau, investir massivement dans l’éducation. Or force est de constater que sur l’éducation des jeunes, la Commission Stasi est restée bien timide. Elle demande certes de « faire de la laïcité un thème majeur de l'instruction civique » et de « mieux assurer l'enseignement du fait religieux », mais ses propositions ne sont pas à la mesure de l’enjeu, et témoignent d’une conception minimale de l’éducation civique :

« En tant que principe fondateur de l'école, la laïcité est un thème majeur de l'éducation civique. Aujourd'hui, la laïcité ne peut être conçue sans lien direct avec le principe d'égalité entre les sexes. La commission propose que la laïcité, intégrant l'égalité entre l'homme et la femme, fasse l'objet d'un temps fort d'étude et de débats, par exemple au cours d'une "Journée de Marianne" qui pourrait être instituée pendant la semaine internationale de lutte contre le racisme »

 

Quant à l’étude du fait religieux, la Commission ne propose rien de nouveau :

« … De nombreuses raisons militent en faveur d'une approche raisonnée des religions comme faits de civilisation, comme ont pu le développer le recteur Joutard dès 1989 et le philosophe Régis Debray très récemment. Une meilleure compréhension mutuelle des différentes cultures et traditions de pensées religieuses est aujourd'hui essentielle. Les programmes scolaires ont été revus ces dernières années afin de mieux intégrer l'étude du fait religieux dans les enseignements de français et d'histoire, ce dont la commission se félicite. Elle ne croit pas en l'hypothèse d'une nouvelle matière à part entière, mais parie sur le développement d'une approche transversale des phénomènes religieux, au moyen notamment des nouvelles pédagogies interdisciplinaires. L'occasion d'affirmer une laïcité active développant la connaissance raisonnée et l'approche critique des textes doit être saisie. »

 

Éducation morale et civique

 

La seule hardiesse apparente du rapport Stasi consiste à proposer de faire de l’Aid El Kebir et de Yom Kippour des jours fériés et de « créer une école nationale d'études islamiques ». Mais il ne parle nulle part de l’enseignement de la morale. Il constate tout au plus que le « "franco-judaïsme" a permis de concilier morale juive et loi civile ». Que n’a-t-il proposé de s’inspirer du franco-judaïsme pour concilier la loi civile avec la morale tout court ! Jules Ferry écrivait dans sa Lettre aux Instituteurs : «  La loi […] met en dehors du programme obligatoire l'enseignement de tout dogme particulier, d'autre part elle y place au premier rang l'enseignement moral et civique. L'instruction religieuse appartient aux familles et à l'église, l'instruction morale à l'école ». Il est urgent de prendre Jules Ferry à la lettre et de remettre l’éducation civique et morale, si tant est qu’elle y fut jamais, au centre de l’enseignement français.

 

C’est une banalité que de constater que « dans les collèges et lycées, l'enseignement du fait religieux en est aux prémices » ([1]). On peut certes partir des efforts de Régis Debray pour « créer un Institut européen en sciences des religions, rattaché à l'Ecole pratique des hautes études, qui irrigue la pratique enseignante en outils pédagogiques ». Toutes les occasions devraient surtout être saisies pour mettre au point un enseignement civique et moral unique, adapté à tous les élèves de l’enseignement public et à tous les téléspectateurs et auditeurs des chaînes du service public. La première de ces occasions est la conclusion du « débat national sur l’école » animée par la commission Thélot.

 

Censure catholique

 

Une véritable révolution est nécessaire, on voudrait pouvoir parler, si la Chine de Mao n’avait dévoyé le terme, d’une « révolution culturelle ». Il est vital à cet égard que la France laïque lève la censure que l’Église catholique a imposée à la simple curiosité théologique. Elle a un immense retard sur les pays anglo-saxons que les discours élitistes d’un Philippe Sollers ou d’un Georges Steiner ne parviennent pas à simplement réduire. A l’heure où les Éditions du Cerf sont en difficulté, où le Seuil est racheté par La Martinière, il est temps de s’inquiéter de l’atonie des réflexions et controverses religieuses en France. Pourquoi est-il devenu impossible de relancer tout débat sur l’historicité des Évangiles ? Où est l’Ernest Renan du 21ème siècle ? Qui développe les thèses de Pierre Teilhard de Chardin (Le phénomène humain, Seuil, 1955), de Paul Beauchamp (L’un et l’autre Testament, Seuil, 1990), de Bernard Dubourg (L’Invention de Jésus, Gallimard, 1987) de Claude Tresmontant (Le Christ hébreu, O.E.I.L. 1994), de Marie Balmary (Le sacrifice interdit, Grasset 1986) ? Qui s’intéresse aux débuts de la publication en français du midrash, la source juive des paraboles évangéliques, qui n’avait jamais été traduit (www.nouveaux-savoirs.com) ?

 

Nous avons esquissé, ici même ([2]), un discours rappelant comment le christianisme est né de la confrontation entre le peuple juif et la civilisation gréco-romaine, comment il s’est scindé en plusieurs rameaux, comment il a présidé à l’épanouissement de la France mais aussi à ses déchirements. Nous avons aussi, précédemment ([3]), proposé un discours sur la naissance de la Bible hébraïque qui soit acceptable pour tout enseignant et pour tout élève, ce qui reste évidemment à tester. Nous avions aussi, il y a bien plus longtemps ([4]), désigné plusieurs sujets, dont l’enseignement secondaire, et quelquefois primaire, devrait expliquer et l’histoire et la géographie : langues et alphabets, calendriers, état civil, systèmes familiaux. Ailleurs ([5]) nous avons expliqué que « la démocratie, cela s’enseigne et [qu’]il n’y a pas d’investissement plus utile ».

 

Former les enseignants

 

Sur les fêtes religieuses, par exemple, la bonne proposition aurait été de faire expliquer à tous les élèves la signification, la date et les rites de l’Aid El Kebir et de Yom Kippour, ainsi que ceux, évidemment, de Pâques, de la Pentecôte, du 14 juillet et de Noël. Sur les alphabets, il faudrait, au lycée, décrire et comparer les alphabets latin, grec, cyrillique, hébreu, arabe, turc… et expliquer où, en Europe, chacun d’eux est en usage. Il faudrait de même décrire et comparer les rites et institutions du mariage, la possibilité du divorce et de la cohabitation hors mariage ; ainsi que les modes d’élection et de nomination aux responsabilités politiques nationales, régionales et locales…  Sur tous ces sujets, il faudra du temps pour donner aux enseignants les connaissances nécessaires. Mais c’est plus urgent que de créer une école nationale d'études islamiques.

 

Si la France s’obstine dans sa conception négative de la laïcité, elle risque de contaminer bon nombre de ses partenaires de la construction européenne. Aux efforts du Vatican, relayés par la Pologne et l’Irlande, pour placer la Constitution européenne sous référence chrétienne, il y aurait pourtant infiniment mieux à faire qu’à opposer le silence. Les lumières viendront-elles de La Haye et d’Amsterdam, comme au temps de Descartes, de Spinoza et de Locke ? Au deuxième semestre 2004, la Hollande préside l’Union européenne. Puisse le pays d’Erasme mais aussi d’Anne Frank, mettre tout son génie, forgé dans l’horreur des guerres de religion, au service de l’Europe de la connaissance.  

 

 

 

 


 

([1]) « Des cours sur la religion, l'autre enjeu » par Emmanuel Davidenkoff, Libération, 17 décembre 2003

([2] ) « La saga de la laïcité » Passages n° 130-131, p. XX

www.revuepassages.fr/Article.php?IdArticle=496

([3] ) «  La leçon de théologie » Passages n° 120-121, p. XX

www.revuepassages.fr/Article.php?IdArticle=13

([4]) «  Une théologie laïque est-elle possible ? », Revue des Deux Mondes, mai 1989

www.cdweb.com/mll/Textes/theologie.htm

([5]) «  Démocratie et démographie », Panoramiques, n° 47, 3ème trimestre 2000


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