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Michel Louis Lévy
Administrateur de l'INSEE, en retraite
Membre du Conseil de surveillance de la CNAF
Co-fondateur et ancien président du Cercle de Généalogie Juive
Membre fondateur de Judeopedia.org

 

Pessah’ en mai ?

septembre 2004

Michel Louis Lévy

 

Si vous avez jeté un coup d’œil sur les calendriers 5765 que vous ont adressés le Consistoire… et les entreprises de pompes funèbres, vous avez peut-être eu un haut-le-cœur : le dimanche 1er mai 2005 sera le huitième jour de Pessah’, qui aura commencé le dimanche 24 avril, avec un Premier Seder particulièrement tardif, le samedi soir 23 avril, après Chabbat, ce qui, en plus, n’est guère commode.

 

Cette date très tardive est due à un phénomène bien connu des érudits, la dérive de la fête de Pessah' par rapport à l'équinoxe de printemps (1). Cette dérive est liée à une légère imperfection du calendrier juif : l’année solaire moyenne juive est égale à 365, 24696 jours au lieu de 365, 24220 en réalité, 365, 25000 dans le calendrier julien et 365, 24250 dans le calendrier grégorien. Comme le calendrier juif est fondé sur le « cycle de Méton » de 19 ans (19 années solaires est une très bonne approximation, mais une approximation seulement, de 235 mois lunaires), cette date tardive de Pessah’ revient tous les 19 ans (2). Déjà en 1948 et 1986, Pessah’ a commencé le 24 avril et s’est terminé le 1er Mai. En 1967, ce fut pire : cette année-là, Pessah’ a commencé le 25 avril et s’est terminée le 2 Mai. Même en Israël, où on ne fête pas le 8ème jour, Pessah’ s’acheva le 1er Mai 1967. Ce sera de nouveau le cas en 2043. En 2024, il y aura moindre mal, Pessah’ tombera le 23 avril et s’achèvera le 30. Mais en 2035, est de nouveau prévu un Pessah’ du 24 avril au 1er mai.

 

Le lendemain 

 

Il est pourtant établi par la tradition rabbinique que Pourim le 14 Adar et Pessah’ le 15 Nisan’ tombent au voisinage des deux Pleines Lunes encadrant l'équinoxe de printemps. Pessah’ ne devrait jamais commencer après le 21 avril, un mois après l’équinoxe de printemps, stabilisé au 20/21 mars dans le calendrier grégorien. Autrement dit, Pourim doit tomber dans le signe solaire des Poissons, avant l’équinoxe, et Pessah’ dans celui du Bélier, après l’équinoxe.

 

Ainsi dans le Midrach d’Esther (3), on voit Aman tirer au sort (Pour) la date de la fête de Pourim : il élimine tour à tour onze mois lunaires sur douze, puis onze signes du zodiaque sur douze. Finalement restent le mois d’Adar et le signe des Poissons, qu'il choisit « parce qu'il savait que Moïse est mort en Adar et que les poissons s'avalent entre eux. Mais il ne savait pas que Moïse est également né en Adar, et que les poissons sont également avalés ». Cela renvoie à la fin de la Torah et au début du livre de Josué : Moïse meurt le jour de ses 120 ans, et les enfants d'Israël respectent un deuil de 30 jours, puis attendent trois jours avant de traverser le Jourdain et de sacrifier l'agneau pascal, le 10 Nisân.. Moïse est donc né et mort le 7 Adar, 33 jours avant le 10 Nisân. La signification eschatologique de cet apologue est qu’Adar est le dernier mois de l’hiver et de l’année, comme les Poissons le dernier signe de l’hiver et de l’année solaire : c'est « la fin des temps », à la veille de Nisan et du Bélier, mois et signe du Printemps et de la Résurrection de la Nature.

 

Cette affaire est ancienne. Ce sont les Samaritains et les Sadducéens, avant les Chrétiens, qui ont interprété l’expression « le lendemain du Chabbat » dans Lévitique 23, 15 comme un Dimanche, alors que la tradition pharisienne puis juive comprenait « le lendemain de la Fête », le 2ème jour de Pessah’, à partir duquel on commence à compter l’Omer. La contestation sur la date de Pessah’/Pâques ne concerne donc plus seulement le  peuple juif. Si les Pâques catholiques, selon la vieille règle du Concile de Nicée (Premier dimanche après la Pleine Lune qui suit l’équinoxe de printemps), tombent bien le dimanche 27 mars 2005, de nombreuses Eglises orientales continuent de fixer leurs Pâques, particulièrement importantes dans la liturgie orthodoxe (Christ est ressuscité !) d’après le calendrier juif, le dimanche après Pessah' . En 2005, elles suivront donc nos errements et fêteront Pâques le dimanche 1er mai, daté 18 avril dans le calendrier julien…

 

Un beau geste

 

Le problème est que 2005/5765 est « embolismique », selon le calendrier automatique institué vers le VIIIème siècle en Babylonie : elle est « grossie » d’un deuxième mois d’Adar, deux ans après 2003, qui l'avait déjà été. C’est ce mois d’Adar II 5765 qui est intempestif. Si les Rabbins, comme aux temps du Deuxième Temple, fixaient Pessah' d'après la végétation, ils auraient décidé de ne pas intercaler d'Adar II en 2005. Pourim serait tombé le 14 Adar I, le 23 février (Pourim qatan dans nos calendriers) et Pessah' le 15 Nisan, Chabbat 26 Mars, avec un premier Seder le vendredi soir 25 mars, cinq jours après l’équinoxe. C’est 2006 qui aurait été embolismique : Pourim et Pessah’ 5766/2006 retomberaient aux dates prévues.

 

Ce serait donc un beau geste, tant pour l’Unité du peuple juif que pour l’œcuménisme des religions bibliques, c’est-à-dire judéo-chrétiennes, si les Rabbins

1. non seulement décidaient que dorénavant l’intercalation du mois d’Adar II règlera les Pleines Lunes d’Adar et de Nisän de part et d’autre de l’équinoxe de printemps ; cela avancerait d’une lune les Pessah’ trop tardifs cités plus haut et ne changerait rien aux autres années ;

2. mais encore invitaient l’Eglise catholique et les autres églises chrétiennes à revenir à la stricte règle de Nicée, selon laquelle Pâques tombent le premier dimanche après la Pleine Lune qui suit l’équinoxe de printemps (c’est-à-dire, selon la règle précédente, la Pleine Lune de Nisân). Pessah’ et Pâques, comme il arrive souvent, seraient toujours voisines.

Les constatations astronomiques nécessaires seraient évidemment faites à l’aplomb du Temple de Jérusalem. « L’esplanade des Mosquées », d’où on pourrait également fixer le début des mois lunaires, juifs et musulmans, serait ainsi rendue à sa vocation, celle de faire régner la Paix dans ce monde.

 

De toute façon, cette réforme sera faite un jour. Pourquoi attendre l’arrivée du Messie ?

 

 

(1)   Voir Lettre de Maimonide sur le calendrier hébraïque, traduite par Robert Weil, annotée par Simon Gerstenkorn, Editions Meir, 1988, p 110-113. Une mini-réforme est proposée dans cet ouvrage, inspirée du livre de Rav Tsevi.Hirsch Yaphé (1853-1927), préface de Rav A. A. 'Akavia (1882-1964), paru aux éditions Darom, Jérusalem, 1931.

 

(2)   Dates prises dans Roger Stioui : Le calendrier hébraïque, les éditions colbo, 1988

 

(3)   qui vient d’être opportunément réédité :  Le Midrach Rabba sur Esther, édition bilingue, hébreu et français. Traduction : Maurice Mergui. Editions des Nouveaux-savoirs, janvier 2004. Voir mon analyse www.col.fr/article-541.html

 

 

Illustration couleur : « Le fondement du monde » d’Isaac Ben Joseph Israeli, traité d’astronomie en hébreu (Syracuse, 1491)

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