Israël-Vatican Programme de
travail
Michel Louis Lévy
L'article 7 de l'Accord fondamental du 30 décembre 1993 (16 Tevet 5754) signé
entre l'Etat d'Israël et le Saint-Siège (que de questions dans ce simple énoncé :
qu'est-ce que cet Etat? qu'est-ce que ce Siège? qui est saint? qui est Israël?) vise
d'une part, à promouvoir et encourager des échanges culturels entre des
institutions catholiques dans le monde et des institutions éducatives culturelles et de
recherche en Israël, et, d'autre part, à faciliter l'accès aux manuscrits, aux
documents historiques et autres sources comparables . Cet accord ouvre de
vertigineuses perspectives, rien de moins qu'une nouvelle articulation des religions
monothéistes.
Il n'est pas dit "institutions chrétiennes, institutions juives ",
mais "institutions catholiques, institutions en Israël. " .
Les signataires ne peuvent certes engager que leur propre responsabilité. Mais il est
suffisamment de chrétiens orthodoxes, de protestants et de musulmans résidant en Terre
sainte (notion introduite des l'article premier de l'Accord fondamental, comme si elle
ne posait aucun problème aux deux parties), pour qu'ils puissent participer aux études
envisagées. Lesquelles ? L'allusion aux manuscrits suggère de chercher à
reconstituer l'histoire des sensibilités religieuses issues de la Bible. Le mieux serait
de s'en tenir aux rites attestés, en triant entre les textes historiques et les textes
apologétiques.
Par exemple, au temps du Deuxième Temple, depuis la traduction de la Septante jusqu'à
la rédaction des Evangiles, comment se célébrait le jeûne de Yom Kippour ? La
liturgie juive actuelle évoque de grandioses cérémonies à Jérusalem, avec l'entrée
du Grand Prêtre somptueusement vêtu dans le Saint des Saints, le renvoi du bouc
émissaire dans le désert et d'abondants sacrifices d'animaux. Les textes chrétiens ne
disent rien de tout cela.
Ils parlent en revanche de la Cène où est fondée l'Eucharistie. Or le rite du Seder
pascal ne pouvait être semblable à celui d'aujourd'hui, avec coupes de vin et matzot,
puisque la Haggadah actuelle, aussi ancienne soit-elle, se réfère aux pratiques
de rabbins de siècles ultérieurs. Auparavant le sacrifice de l'agneau pascal était
certainement l'essentiel de la liturgie. Mais encore ? Les équipes
israëlo-catholiques pourraient-elles nous éclairer sur les rites de printemps et
d'automne des Judéens, au temps de Pompée ?
Autre rite, quid des pèlerinages à Jérusalem ? La Bible institue trois
fêtes de pèlerinage, celle de Pâque, au printemps, celle de Pentecôte, sept semaines
plus tard, celle des Tentes, à l'automne. Eurent-ils la même importance, ou bien le
pèlerinage de Pâque a-t-il évincé les deux autres ? à moins que celui des
Tentes, après la moisson, ait été conservé par les nomades arabes et soit à l'origine
du pèlerinage à La Mecque des musulmans d'aujourd'hui ? Le mot arabe
Hadj, qui désigne celui qui a fait le pèlerinage est le mot hébreu
Hag, qui signifie fête. Il ne serait pas plus étonnant de voir un
pèlerinage à Jérusalem détourné vers La Mecque que de voir le Temple du Grand Pontife
transféré de Jérusalem à Rome.
A propos de calendrier, il serait du plus grand intérêt d'étudier les circonstances
de la mise au point, par Jules César, du calendrier dit "julien". On sait qu'il
fit appel à un astronome d'Alexandrie, dont le nom grec était Sosigène. Alexandrie
étant la plus importante communauté juive de l'époque, ce Sosigène ne se serait-il pas
appelé plutôt Bensoussan, le fils de Suzanne (Chouchana, en hébreu, Rose en
français) ? Dans ce calendrier julien originel, l'organisation en semaines de sept
jours, fondamentale pour les Juifs, inconnue des Romains, était-elle prévue ?
comment s'appelaient les mois de juillet et août, nommés plus tard d'après Jules César
et Auguste ? A quelle date tombaient les équinoxes et les solstices ? Ne
serait-ce pas le 25 des mois correspondants, l'équinoxe de printemps, le 25 mars, premier
mois, le solstice d'hiver, le 25 décembre, dixième mois ? Comment l'usage de ce
nouveau calendrier se répandit-il autour de la Méditerranée, sous Auguste et
Tibère ? Quels autres calendriers concurrents trouva-t-il en usage, en Judée, en
Samarie, en Galilée, à Gaza ? Par exemple le calendrier de 52 semaines, soit 364
jours, prôné par les livres d'Hénoch et des Jubilés eut-il des
adeptes, et lesquels ? Le nom d'essénien , que l'étude des
manuscrits de la Mer Morte a conduit à donner à ce calendrier suggère que ces adeptes
ne pratiquaient ni pèlerinage à Jérusalem, ni sacrifice d'animaux. Un document de
Qumran, le "Rouleau du Temple " institue un autre calendrier, à
moins que ce soit une variante du précédent, avec des fêtes bucoliques (Elévation de
la gerbe, Vin nouveau, Huile fraîche) tombant toutes un dimanche, centrées sur la fête
des Semaines (Pentecôte) et séparées l'une de l'autre par sept semaines.
Il faudrait aussi réhabiliter ce pauvre Hérode. Hérode le Grand, reconstructeur du
Temple, n'ordonna nul massacre des Innocents. Cet épisode des Evangiles (Matthieu
2, 16-18) est repris du massacre, ordonné par Pharaon, dont le seul rescapé fut Moïse,
sauvé des eaux. Quant à Hérode Antipas, il n'accorda à aucune Salomé la tête de
Jean-Baptiste (Marc 6, 21-28). Si Salomé il y eut, elle obtint tout au plus que
les usagers du bain rituel fussent soumis à une taxe par tête, sûrement pas au supplice
de la décapitation
Il est bien possible que ces calomnies datent du règne même de ces rois et aient
été utilisées par des contribuables mécontents, tout comme il est bien possible que le
livre des Macchabées ait été utilisé par la dynastie hasmonéenne. Celle-ci descendait
du frère de Judah Macchabée, et sa légitimité était discutée par les tenants de la
lignée du Roi David. Or le livre des Macchabées fait un parallèle entre la
réinauguration du Temple, après la victoire de la révolte juive, et l'inauguration du
Temple de Salomon, longuement décrite dans le Livre des Rois. Y avait-il une fête
de l'inauguration du Temple de Salomon ? Toujours est-il que le livre des Macchabées
institue la fête de Hanoukah , fête de la Dédicace, qui commence le 25 du
neuvième mois et dure huit jours. Cette fête fut-elle celle de la dynastie ? A
partir de quand fut-elle célébrée, de même que celle de Pourim, la fête
d'Esther, plutôt adaptée aux juifs de diaspora ? Les rabbins du Talmud ont conservé Hanoukah
et Pourim et le livre d'Esther, mais non celui des Macchabées qui ne figure pas
dans la Bible juive. L'Eglise, elle, a conservé le livre dans le canon chrétien, et a
institué, le 25 du dixième mois, une fête de la Nativité, qui commence la veille au
soir, et est suivie au huitième jour, d'une fête de la Circoncision
Est-ce que
"hasmonéen", par hasard, ne viendrait pas de l'hébreu Chemoné, qui
signifie Huit ? Au secours, Messeigneurs, éclairez nos lanternes, en application de
l'article 7 de l'Accord fondamental !