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Michel Louis Lévy
Administrateur de l'INSEE, en retraite
Membre du Conseil de surveillance de la CNAF
Co-fondateur et ancien président du Cercle de Généalogie Juive
Membre fondateur de Judeopedia.org

 

Fanatisme et amalgames : ce qu’en dit la Bible
17 octobre 2001

Michel Louis Lévy

Écoute, Israël ! Le monde est notre monde, le monde est un.

 

Big Bang, chaos, tohou bohou, confusion. Faire la lumière, dénoncer l’obscurantisme, faire sortir du mal un bien. Ce fut le soir, ce fut le matin. Mardi 11 septembre 2001, 24ème jour de la lune de Fructidor. Jour un.

L’Eternel est “ Un ”. La République est “ Une ” et Indivisible. Les Nations “ Unies ” et “ l’Union ” européenne sont solidaires des Etats-“ Unis ” qui ont pour “ unique ” but d’éradiquer les organisations terroristes et leurs réseaux mais qui veulent “ éviter tout amalgame entre les groupes de terroristes fanatiques et le monde arabe et musulman ”.

La laïcité française, issue du souvenir horrifié des guerres de religion, s’est pétrifiée devant les phénomènes religieux, qu’elle nie et qu’elle veut ignorer. Cette attitude est devenue un lourd handicap qui conduit à la complaisance envers les entreprises terroristes, qui seraient expliquées sinon justifiées par la misère du monde. Elle nourrit l’anti-américanisme, l’antisionisme et l’antisémitisme ambiants. Il serait de plus désastreux que le discrédit que les talibans et les terroristes ont jeté sur l’enseignement du Coran rejaillisse sur celui de la Bible. Revenons aux sources ! La laïcité suppose l’enseignement bienveillant des diverses religions et la compréhension de leurs désaccords et de leurs dérapages. Un gros effort est à entreprendre en France pour rendre à la Bible hébraïque et à ses prolongements critiques, y compris évangéliques, coraniques et voltairiens, la place dans la culture générale qu’elle a gardée en Angleterre, aux États-Unis… et en Israël. Le présent texte est une contribution à cet effort.

Amaleq, le fanatique

Si nous connaissions la Bible, nous saurions que le fanatique antisémite s’y nomme Amaleq, petit-fils d’Esaü. Seule la haine conduit ses actes. En Exode 17, 8 à 16, il attaque sans raison le peuple d’Israël, à peine celui-ci est-il sorti d’Égypte, alors qu’il n’est pas même porteur de la Loi, ni encore établi sur le moindre territoire. C’est précisément le trait commun, chacun à leur échelle, d’Adolf Hitler, de Saddam Hussein et d’Oussama BenLaden que de haïr Israël sans raison. Pour qui vise à la domination universelle, comme l’avaient compris Alexandre le Grand ou Napoléon Bonaparte, il est plus malin de chercher à ménager le peuple juif !

Pour que Josué terrasse finalement Amaleq, après des alternances de victoires et de désastres, il faut que Moïse, assis sur la montagne, garde les bras levés malgré la fatigue. Aussi ses seconds placent-ils une pierre pour soutenir ses bras pesants. Dans la lutte contre le mal absolu, les lieutenants doivent veiller soigneusement à ce que le chef suprême ne paraisse jamais “ baisser les bras ”. On songe à la transformation de l’image de George W. Bush. Mais nous sommes prévenus : “ l’Eternel aura la guerre contre Amaleq de génération en génération ”.

De fait, Amaleq revient deux fois. Le combat contre Agag, roi d’Amaleq, est en 1.Samuel 15, du temps du roi Saül. Saül combat Agag et extermine son armée, mais croit généreux d’épargner Agag lui-même. Cette clémence lui coûte cher. Tandis que le Prophète Samuel exécute Agag, Saül perd la protection divine, puis son trône au profit de David, et finit par se suicider. Pour extirper le fanatisme, il faut savoir, quoi qu’il en coûte, ne pas transiger.

Plus plaisante est la victoire sur Aman, l’Agaguite, qui fait l’objet du Livre d’Esther. Aman est le vizir du roi Assuérus, qu’il convainc d’exterminer le peuple juif, en exil en Perse. Parce qu’Assuérus se rappelle que le juif Mardochée l’a naguère prévenu d’un complot, et parce qu’il succombe au charme d’Esther, nièce de Mardochée, il finit par rapporter le décret d’extermination et remplace Aman par Mardochée. Pour vaincre le fanatisme, le renseignement et l’utilisation avisée des faiblesses humaines peuvent être mieux adaptés que la force militaire.

La haine aveugle ne se raisonne pas, elle se combat. Les peuples, y compris le peuple français, y compris les peuples arabes et musulmans, sont engagés dans une guerre multiforme contre un nouvel Amaleq. Le temps de guerre suppose de la discipline, la mise en sourdine des luttes politiques ordinaires et l’acceptation de contraintes particulières. La France unie doit aux États-Unis et à leur Président confiance, persévérance et loyauté, comme le fit le Général de Gaulle pendant la guerre contre le nazisme et lors de la crise de Cuba.  

Établir le règne de la loi

L’éradication du terrorisme est une priorité, ce n’est pas un programme. Immédiatement après la victoire sur Amaleq, et avant même de conduire le peuple au Sinaï, Moïse établit, sur le conseil de son beau-père, qui n’était pas hébreu, un système hiérarchisé de juges : “ Choisis parmi tout le peuple des hommes capables, craignant Dieu, sûrs, incorruptibles, et établis-les sur eux comme chefs de milliers, chefs de centaines, chefs de cinquantaines et chefs de dizaines. Ils jugeront le peuple en tout temps. Toute affaire importante, ils te la déféreront et toute affaire mineure, ils la jugeront eux-mêmes. Allège ainsi ta charge et qu'ils la portent avec toi ” (Exode 18, 21 et 22). La nécessité de l’institution de tribunaux, préalable de toute vie sociale, avait été expliquée à Abraham dans son mémorable marchandage de Sodome, en Genèse 18, 23 à 33 : il faut un minimum de dix Justes, c’est à dire au moins un Tribunal, pour assurer la continuité d’une cité.

La Loi elle-même est introduite par l’affirmation ANKY YHWH, Anokhi Adonaï, “ Je suis l’Éternel ”. En hébreu, le Tétragramme YHWH, béni soit le Nom, est une forme particulière du verbe “ être ” qu’on traduit en général par “ Celui Qui était, Qui est, Qui sera ”. De même le mot État, dérivé du verbe “ être ”, désigne une personne morale antérieure à notre naissance, qui survivra à notre décès, qui enregistre ces événements par “ l’état civil ” homologuant notre nom, notre filiation et notre âge, et qui promulgue, enseigne et fait appliquer la loi. La victoire sur le fanatisme est inséparable de l’établissement du règne de la loi, ce qui implique l’organisation du monde en peuples dotés d’États, et celle des relations entre États, c’est-à-dire la construction mondiale d’un État des États. Pour chaque individu, l’État est unique : sauf cas très particuliers, on ne vote et on ne paye des impôts que dans un seul pays. Et la Société des Nations ni notre actuelle Organisation des Nations Unies, aussi fragiles soient-elles, n’ont jamais été, que l’on sache, confrontées à un schisme.

La suite du verset introductif est  “ Je suis YHWH, ton Dieu, qui t'ai fait sortir du pays d'Égypte, de la maison de servitude ” C’est l’État qui libère. C’est en tant que ressortissants d’un État dont nous respectons les lois que nous sommes libres. Cette formulation en hébreu a été transposée en français : “ l’Assemblée Nationale reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l’Être suprême, les droits suivants de l’homme et du citoyen : article premier Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ; les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune […] ”

L’État, transcendant aux mortels qui le constituent à chaque instant, est détenteur de la violence légitime : il peut déclarer la guerre à d'autres États et contraindre les individus qui ne respectent pas la loi. Les lois qui s’appliquent à la guerre et celles qui s’appliquent à l’État sont particulières. Ainsi  l’“ usage excessif de la force ” fait l’objet de l’épisode du viol de Dinah, en Genèse 34. A ses fils Siméon et Lévi, responsables de cruelles représailles, Jacob reproche seulement d’avoir détruit sa renommée : les habitants du pays me frapperont et je serai détruit, moi et ma maison. C’est la responsabilité du chef qui est mise en cause dans de tels excès. Le bombardement de Dresde est reproché à Winston Churchill, la bombe atomique de Nagasaki à Harry Truman, mais ces excès n’ont pas mis en cause la légitimité du combat que menaient alors le Royaume-Uni contre l’Allemagne et les Etats-Unis contre le Japon. Il appartient à chaque État en guerre de proportionner les moyens employés aux buts poursuivis et de sanctionner d’éventuels excès, sous peine de voir la ruine de sa réputation servir d’arme à ses ennemis. C’est l’honneur de l’État d’Israël d’avoir déféré Ariel Sharon en justice et d’avoir condamné sa responsabilité indirecte dans les massacres de Sabra et Chatila, perpétrés par les milices libanaises, tout comme c’est l’honneur de l’Église catholique et de son chef d’État, le pape Jean-Paul II, d’avoir fait repentance en plusieurs circonstances.

Construire les États issus de la décolonisation, reconstruire aujourd’hui ceux issus de la décomposition du bloc soviétique, doter l’Angola, la Somalie, le Kosovo, l’Afghanistan… l’Algérie, la Palestine… de structures étatiques stables et reconnues faisant régner l’ordre et la justice, ce n’est pas une mince affaire. La Bible consacre un livre entier, celui des Nombres, à expliquer comment Moïse dénombra “ dans le désert ” l’ensemble des tribus et des clans d’Israël. Après la mise en place de tribunaux, la construction de tout État doit commencer par là. Au plan mondial, il serait urgent de donner à la Croix-Rouge internationale et aux organisations périphériques des Nations Unies, Banque mondiale, Haut commissariat aux réfugiés (HCR), UNESCO, Organisation mondiale de la santé (OMS), UNICEF, Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP)… les moyens de recenser les populations qui ne le sont pas, en commençant par les camps de réfugiés, qui sont la honte de l’humanité. Ainsi pourra-t-on inventorier sérieusement les besoins mondiaux d’alimentation, de santé et d’éducation, et mesurer les moyens humains, matériels, financiers, que les pays riches, une fois anéanties les organisations terroristes, devront consacrer au développement des pays pauvres et des peuples sans État. La France des Droits de l’Homme peut être chef de file en ce domaine.

S’agissant des lois de la guerre, ce sont les Pays-Bas et la Suisse. L’histoire retient les noms du Hollandais Grotius, auteur du Droit de la guerre et de la paix (1625), du Suisse Henri Dunant, fondateur de la Croix-Rouge internationale et initiateur des Conventions de Genève (1864). Après la victoire sur le nazisme, le tribunal de Nuremberg fut une première forme de justice internationale. Dans la période récente, les guerres de Yougoslavie et du Rwanda ont conduit à doter la Cour internationale de Justice siégeant à La Haye d’un Tribunal permanent chargés de juger les crimes de guerre et crimes contre l’Humanité. Les procès faits à Goering, à Pinochet et à Milosevic ouvrent de nouvelles voies à la justice humaine.

Il est parfaitement cohérent que les buts et les moyens de la lutte contre le terrorisme ait été définis par la communauté des États, y compris arabes et musulmans, qui sont menacés dans leur existence même par les menaces entendues depuis le 11 septembre, et d’autant plus menacés qu’ils sont moins légitimes. L’organe exécutif de cette communauté est le Conseil de Sécurité, dont la France a l’honneur de faire partie et qui comprend aussi la Russie, la Chine et désormais la Syrie. Mais il est indéniable que le comportement de la Russie en Tchétchénie, de la Chine au Tibet et les propos antisémites du Président syrien nuisent à la réputation de ces États et à la cause de la coalition dont ils font partie.

Le complexe d’Ismaël

Pour comprendre le risque “ d’amalgame ” du fanatisme avec le monde arabe et musulman, il est nécessaire de revenir à l’histoire d’Ismaël. Si nous connaissions la Bible, nous saurions qu’Isaac, fils “ promis ” à Abraham et à Sarah son épouse, a un frère aîné, Ismaël, fils “ naturel ” d’Abraham et d’Agar, l’Égyptienne. Abraham privilégie Sarah aux dépens d’Agar et Isaac aux dépens d’Ismaël. Celui-ci a de quoi se scandaliser du sort fait à sa mère ; rebelle batailleur, “ âne sauvage ”, éternel adolescent à qui sa mère trouve une épouse, peu enclin à l’effort personnel, il jalouse ce dont hérite Isaac, qui mérite cet héritage par l’étude, celle de la nature et celle de la loi, et qui le transmet à ses fils, les jumeaux Esaü et Jacob (Israël).

Le drame se noue quand, en Genèse 21- 9, Sarah voit Ismaël rire : le verbe "rire" a en hébreu la même racine que le nom d’Isaac, nommé par référence à la réaction de Sarah à l'Annonciation de sa grossesse. Seule l'initiale diffère, ce qui a conduit les traducteurs à déduire qu'en fait de rire, Ismaël "se moquait" de son frère, jusqu'à tenter de lui ravir son identité. L’imitation est positive si elle est émulation : le Coran ressemble à la Bible, les medressas, les écoles coraniques, ressemblent aux yechivot juives, la chaîne du Qatar, Al-Jazira, ressemble à CNN. Mais il n’y a pas loin de l’imitation à la dérision, mot formé sur le verbe “ rire ”. Ismaël devient un combattant qui tire à l'arc, arme qu'on tire de loin et dont on peut retourner les flèches contre celui qui les a tirées. L’arc d’Ismaël, c’était hier les missiles Scud ; aujourd’hui, ce sont les avions de ligne transformés en bombes et leurs pilotes en kamikazes. Sera-ce demain ce que la technologie occidentale a produit de pire, les armes nucléaires, chimiques et bactériologiques ?

Ismaël n’incarne pas le monde musulman : il incarne une civilisation archaïque, “ naturelle ”, qui aurait autrefois régné tout autour de la Méditerranée, fondée sur l’honneur du clan et faite d’absolutisme patriarcal, de soumission des femmes et de violence, et dont donnent une vague idée la vendetta corse et la mafia sicilienne. D’innombrables mythes et chefs d’œuvre de la littérature universelle décrivent l’arrachement de l’humanité à cette civilisation : Iphigénie et fille de Jephté, Œdipe et Antigone, Atrides et guerre de Troie, Cid Campeador et Amants de Vérone…

La raison qu'a Ismaël de s'en prendre à son petit frère est son humiliation, celle des bâtards supplantés par un cadet légitime, qui renvoie à la jalousie réciproque de Sarah et Agar. Ismaël est au sens strict un “ dés-hérité ”, frustré comme ceux qui imputent au destin et à la “ nature ” leur pauvreté, leur malchance et leurs mauvais penchants, sans chercher à les surmonter par leurs propres efforts. Il y a beaucoup de “ bonnes âmes ” qui se veulent les amies de tous les déshérités, qui pensent que nous sommes tous des enfants naturels, que nous ne sommes pas responsables de nos parents, qu’il n’y a pas lieu de privilégier l’enfant légitime “ qui s’est simplement donné la peine de naître ”. Tous ceux-là sont séduits par Ismaël, comme l’est Esaü par une fille d’Ismaël, Basmath (Genèse 36, 3). Mais c’est une autre épouse d’Esaü, Ada, qui engendre Eliphaz qui engendre Amaleq.

La nature et la loi

Ismaël est l’aîné d’Isaac. Inversement l’Islam est la plus jeune des trois religions monothéistes : Mahomet apparaît bien après les derniers prophètes d’Israël et après la prédication chrétienne. Le Coran vint donner un idéal à ceux qui n’avaient accès ni à l’Ancien, ni au Nouveau Testament. La civilisation fondée sur cet idéal fut, au temps de Charlemagne et pendant plusieurs siècles, le phare de l’humanité et s’honora d’inestimables apports à la culture universelle, de légistes, de médecins, d’architectes, d’astronomes et de poètes, qui écrivaient, de Bagdad à Cordoue, arabe, farsi, hébreu, grec et latin. Cette culture nous a laissé les œuvres, entre autres, d’Avicenne (Ibn Sina), d’Averroes (Ibn Rushd), et du juif Maimonide (Ibn Maimoun), qui écrivait en arabe, ainsi que, par exemple, les “ chiffres ” arabes, dont le chiffre “ zéro ”,  l’“ algèbre ” et ses “ algorithmes ”, ou encore les contes des Mille et une Nuits. 

Le Coran donne un rôle particulier à Ismaël, fondateur avec son père Abraham de la “ Maison ” de La Mecque, mais il ne dit rien de désobligeant pour Isaac, par exemple : “ Nous croyons en Dieu et en ce qu’on a révélé à Abraham et Ismaël et Isaac et Jacob et aux Tribus… Et à Lui nous sommes Soumis ” (Sourate 2, verset 136). Dans ce qu’on a révélé “ aux Tribus ”, il y a les Dix Commandements. A Ismaël, la tradition juive appliquerait volontiers la métaphore du “ verre à moitié plein ”. Il est fils d’Abraham, mais aussi d’Agar, qui n’a pas reçu la promesse divine. Il s’appelle Ismaël, “ qui écoute Dieu ” mais Jacob s’appelle Israël, “ qui discute Dieu ”. Ismaël est circoncis à treize ans, Isaac au huitième jour. Le Coran révère Allah’, Clément et Miséricordieux, prononciation arabe d’Elohim, mis au singulier, alors que la Bible alterne les références à Elohim, Créateur du monde naturel, et à YHWH, Dieu de la conscience individuelle. Le Coran prêche la soumission à Allah’, alors qu’après avoir proclamé que YHWH et Elohim ne font qu’Un, la Bible prêche l’étude et la transmission :  Tu le répéteras à tes fils, assis dans ta maison et marchant sur la route, en te couchant et en te levant… (Deutéronome 6,7). En un mot, Ismaël symbolise les lois de la nature, de la biologie, de l’astronomie. Isaac y ajoute mais ne leur substitue pas les lois humaines. L’homme doit s’adapter à la nature. Après un tremblement de terre, il n’a pas à se révolter, mais à reconstruire, différemment.

S’adapter, ce n’est pas se soumettre. Le mot islam, souvent traduit par “ soumission ”, est de la même racine que salam et que l’hébreu chalom, “ paix ”. Il appartient aux parents musulmans d’apprendre à leurs enfants, garçons et filles, comment se dégager de la soumission passive et comment rechercher activement la paix. A eux de rendre hommage à l’Indien Salman Rushdie, qui écrit en anglais, et au Ghanéen Kofi Annan, qui vient d’obtenir le Prix Nobel de la Paix. A eux d’enseigner que la principale vertu d’Abraham est l’hospitalité, qu’Ismaël doit protection à Isaac, son jeune frère, et que la Jihad, la guerre sainte, est celle que le Musulman mène contre ses mauvais penchants. A eux d’enseigner que la charia ne permet pas de construire des États de droit, dont apparemment le monde arabe et musulman a bien du mal à se doter. La Turquie est actuellement le pays musulman le plus proche de cet idéal, les autres se partageant entre despotismes plus ou moins éclairés, monarchies plus ou moins absolues, républiques plus ou moins tyranniques. Ceux qui terrorisent l’Occident terrorisent d’abord les peuples arabes et musulmans qu’ils empêchent d’accéder à la démocratie et à la modernité.

Nous sommes tous des Infidèles

La procréation est au centre de l’histoire d’Abraham, d’Ismaël et d’Isaac. La nature veut qu’il faut être deux pour faire un enfant. Mais la société constate que toute paternité est douteuse. C’est la loi qui doit suppléer à cette incertitude, et désigner le père “ légitime ”, quitte, dans certains cas, à désigner un autre que le père biologique. S’en tenir à la paternité biologique, c'est risquer d'exalter abusivement la virilité masculine et tenir nécessairement en suspicion la vertu des femmes. De cette suspicion découle la nécessaire soumission des filles à leur père, des sœurs à leurs frères et des épouses à leur mari, et diverses réticences portant sur la scolarisation des filles, l'exogamie familiale, le libre choix du conjoint, l'accès à l'héritage, l'adoption… Du coup, le statut de la femme est le principal obstacle sur lequel bute aussi bien la mo­dernisation des pays musulmans que l'assimilation des originaires de ces pays émigrés dans le monde occidental. Ni l'une ni l'autre ne sont certes impossibles, Allah’ est grand. Mais elles passent par le courage des mères, des sœurs et des filles, bien plus que par celui des combattants.

Un risque de la religion naturelle est la passivité, qui débouche sur le fatalisme et la plainte permanente. Quand Agar, renvoyée par Abraham avec Ismaël, a épuisé ses vivres, sa première réaction est de cacher l’enfant sous un arbre “ pour ne pas le voir mourir ” (Genèse 21,16). Il faut une intervention divine pour qu’elle ait l’idée de l’abreuver à l’eau d’un puits. Tout ce qui arrive étant “ naturel ”, il n’y a rien d’autre à faire qu’à s’en remettre à la volonté divine. Si vous prenez une initiative, ce que vous êtes une forte tête, un “ insoumis ”. La religion naturelle se pervertit donc en manichéisme, et divise le monde en “ soumis ” et “ insoumis ”, en “ fidèles ” et “ infidèles ”, d’un côté les membres d’une seule “ Umma ”, la communauté matricielle des Croyants, de l’autre les mécréants. Alors que le monde musulman se divise indéfiniment en tribus, clans, ethnies, sectes, écoles, courants… les fanatiques ne disposent que d’une seule façon d’appeler à l’unité, c’est d’appeler à combattre les mécréants, ce que BenLaden appelle former “ le Front islamique mondial pour le Jihad contre les Juifs et les croisés ”. Qui ne voit que ce prétendu Front islamique est d’abord dirigé contre les Musulmans ?

Les railleries d’Ismaël sont cruelles mais ne sont jamais fatales. Il garde la protection de Dieu et mérite Sa bénédiction, et la promesse d’une nombreuse descendance. Quand, avec Isaac, il enterre leur père Abraham, à Hébron, les deux frères le font sans effusion mais sans incident ; et Ismaël meurt comme un Juste. Il ne faut pas faire d’amalgame entre le fanatisme et le monde arabe et musulman, entre Amaleq et Ismaël. Mais il ne faut pas en faire non plus entre Ismaël et Isaac. Amaleq doit être détruit. Ismaël doit être seulement corrigé, aux deux sens du terme : les garnements qui ont sifflé la Marseillaise au match France-Algérie ne relèvent assurément pas des F 16, mais peut-être de la paire de gifles, ce qui, vu leur nombre, est cependant un vaste programme. Le mérite d’Isaac est celui des bons élèves, “ bien élevés ”, appliqués au travail et à l’étude. Bien sûr, il peut se tromper : dans ses vieux jours, devenu aveugle, il confond Jacob et Esaü. Envers son aîné malchanceux, son devoir est cependant de l’inviter à partager leurs connaissances. Comme toute civilisation, la nôtre doit s’enrichir des connaissances et des expériences des autres.

Les tours de Manhattan n’ont pas poussé toutes seules : elles illustraient le génie d’une nation qui fascine le monde. Pourquoi voulez-vous que les États-Unis aient honte de leurs tours, de leurs avions, de leurs vaccins, de leurs moissons, de leur bétail ? Pourquoi voulez-vous que l’Occident ait honte des États-Unis ? Et la France, qu’ils ont sauvée deux fois ? Faites-en donc autant ! Du mal du 11 septembre sortira un bien si le monde arabe et musulman “ laisse les couteaux au vestiaire ”, se joint à la coalition que les États-Unis mènent contre le terrorisme et l’obscurantisme et constate qu’Israël est un voisin dont tout le rapproche.

Opération Greenwich

Genèse 23,2 : " Sarah meurt à Qiriat-Arba c'est Hebron en terre de Canaan ". Hebron, où Ismaël et Isaac enterrent ensuite leur père, est prédestinée à symboliser la coexistence en un seul lieu des enfants d'Abraham. Qiriat-Arba, le “ village des Quatre ” (points cardinaux), peut d'ailleurs se lire le “ village arabe ”, tandis que Hebron, c’est hébreu : " Sarah meurt à Qiriat arabe, lieu hébreu en terre de Canaan ". En donnant deux noms au même lieu, la Bible nous dit : qu'on arrive en un lieu - la tombe de Sarah - par l'Est ou par l'Ouest, c'est le même lieu. Qu'on aborde l'Éternel par la langue hébraïque - Elohim - ou par la langue arabe - Allah', c'est le même Dieu. Vous êtes voués à vivre ensemble à Hebron-Qiriat Arba. Il y a des Arabes qui vivent à Nazareth ou à Saint-Jean d’Acre, en Israël. Pourquoi n’y aurait-il pas des Juifs qui vivraient à Hebron, en Palestine ?

La Bible fonde le lien entre le peuple d’Israël et la terre d’Israël. L'antisémitisme séculaire, musulman et chrétien, jusqu'à et y compris la Shoah, a fondé le droit des Juifs à se regrouper sur cette terre et à y organiser un État, auquel les votes des Nations Unies ont donné un cadre légitime. Israël a signé la paix avec l’Égypte et la Jordanie. A Oslo, les peuples israélien et palestinien se sont mutuellement reconnus. Dès lors que le monde arabe et musulman aura vaincu ses fanatiques et convaincu ses égarés, dès lors que l’Autorité palestinienne aura intégré les troupes du Hamas et du Djihad dans son armée régulière – comme De Gaulle et Ben Gourion le firent, non sans mal, le premier des F.F.I., le second de l’Irgoun et du Groupe Stern – alors tout sera d’une simplicité biblique : Israël reconnaîtra la Palestine et sanctionnera ses propres fanatiques, s’il en a. Alors la question des frontières deviendra secondaire.

Quant à celle de Jérusalem… Si j’ai parlé, au début de ce texte, du 11 septembre et du 24 fructidor, c’est pour rappeler que le Créateur, au quatrième jour, plaça deux luminaires dans le Ciel. L’Occident et la chrétienté ont tort de croire qu’il n’y a qu’une seule façon, solaire, de dater les événements. Ce serait faire preuve d’intelligence que de chercher à comprendre pourquoi les pays arabes ont mis le Croissant de lune sur leurs drapeaux. Intéressons-nous donc aux calendriers lunaires. Le méridien de Greenwich est la référence universelle des fuseaux horaires. Reprenons le méridien de Jérusalem comme référence des rites religieux, comme il l’était avant Jésus-Christ et avant Mahomet. Pour que les Chrétiens unifient la date de Pâques, les Musulmans celles du début et de la fin du Ramadan, pour que les Juifs vérifient les années où ils intercalent une treizième lune, observons le ciel depuis l’Esplanade du Temple, là où sont bâties les Mosquées, à la verticale du Saint des Saints et du Dôme du Rocher.

Il n’y a pas "deux poids deux mesures". Il n’y a qu’une seule Loi, qu’il faut enseigner partout. Le monde est imparfait, mais il n'y a qu'un seul monde. 

Michel Louis Lévy, statisticien et démographe, rédacteur en chef des Annales des Mines, est éditorialiste du magazine Passages (17 rue Simone Weil, Paris 13).


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