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Michel Louis Lévy
Administrateur de l'INSEE, en retraite
Membre du Conseil de surveillance de la CNAF
Co-fondateur et ancien président du Cercle de Généalogie Juive
Membre fondateur de Judeopedia.org

De l'historicité de Jésus

Michel Louis Lévy

Quand il publia la vie de Jésus , Ernest Renan fut accusé de sacrilège, mais nul ne contesta la qualité de sa documentation et de son érudition. Voici Jean-Claude Barreau qui s'élance sur ses traces (1). Lui aussi risque d'être mal reçu par les catholiques fervents : il est douteux qu'aucun croyant accepte de reconnaître le Sauveur et le Fils de Dieu dans ce chef scout, théoricien et praticien du judaïsme assimilé, très monté contre le clergé et les règles trop strictes relatives à l'alimentation, au sabbat et au Temple, plus tard victime de l'intérêt commun des résistants palestiniens et de l'occupant romain à se débarrasser d'un agitateur de foules, charismatique et populaire.

Mais alors que Renan passionna les antipapistes autant qu'il choqua les papistes, Barreau va indisposer les deux camps, ceux qui croient au ciel et ceux qui doutent des vérités d'Evangile. Si quelqu'un s'avisait d'écrire une biographie de Charles de Batz, comte d'Artagnan, à partir des Trois Mousquetaires., cela serait sans doute vain mais serait inoffensif puisque personne n'a jamais érigé les ferrets de la Reine et le supplice de Milady en articles de foi. Ici l'entreprise n'est pas seulement vaine - sauf à s'intéresser aux états d'âme de l'auteur, qui se définit comme "chrétien dissident " (p. 164), alors que les premiers chrétiens sont des "juifs dissidents " (p. 96) - elle a quelque chose de choquant.

Barreau, Inspecteur général de l'Education nationale, aurait dû s'aviser que ses collègues se sont déjà préoccupés de l'ignorance des enseignants sur ces sujets et ont par exemple publié un ouvrage (2) où on apprend que "les documents relatifs aux origines chrétiennes sont rares, tardifs, partiels et partiaux " et qu'"il est impossible de reconstituer historiquement la vie de Jésus ". Encore n'y présente-t-on pas les thèses de ceux qui pensent que la question est sans objet, qu'il n'y a aucune vie de Jésus à reconstituer, tout simplement parce que ni Jésus, ni Paul, ni les apôtres ni les évangélistes n'eurent une quelconque existence historique.

Bernard Dubourg, prématurément décédé en décembre dernier, fut de ceux-là. Il a expliqué de façon convaincante (3) comment les Evangiles dérivent des textes préexistants de l'Ancien Testament. L'événement fondateur dans cette optique ne fut pas une éventuelle Crucifixion, mais la traduction en grec de la Bible, celle des Septante. A partir de là, trois siècles de commentaires, gloses et controverses, y compris politiques - sur la légitimité de la dynastie hasmonéenne en particulier - produisirent toute une littérature prétendûment biblique, rejetée par les rabbins, dont seulement une partie entra dans le canon chrétien, le reste constituant les apocryphes et autres Manuscrits de la Mer Morte.

Faut-il rappeler que Nazareth n'existait pas quand les armées romaines occupèrent la Judée ? Barreau cite d'ailleurs Renan à ce sujet " Jésus naquit à Nazareth, petite ville de Galilée, qui n'eut avant lui aucune célébrité ", mais c'est pour faire remarquer que Renan renonce à la naissance à Bethléem… L'appellation de nazaréens donnée à Jésus et à ses disciples - appellation qu'utilisent toujours les Musulmans pour désigner les Chrétiens - a son origine dans le naziréat institué au chapitre 6 du Livre des Nombres. Autre exemple, Joseph d'Arimathie, qui prête son tombeau pour ensevelir le Christ (Matthieu 27,57), vient d'une ville inconnue, dont le nom est fabriqué pour les besoins de la cause : le Livre de Josué (Jésus) commence par les mots hébreux aarei moth, après la mort (de Moïse). Quant à la date de naissance du Christ, il semble bien qu'elle ait été fixée, après coup, soixante-dix ans avant la chute du Temple, par application d'une durée consacrée par les prophètes. Pourquoi Jésus serait-il plus "historique" que Job ou Jonas ?

Il est bien possible que des enfants soient nés dans des étables, que des prédicateurs aient dénoncé les trafics de la viande des sacrifices au Temple de Jérusalem, que des opposants à la pax romana aient été crucifiés, mais pourquoi identifier les uns et les autres et les ramener à un personnage unique ? Cela relève de la foi. Barreau explique la sienne, qui trie entre les paragraphes, et ponctue péremptoirement ses idées de "certainement", "à coup sûr", "évidemment" : "La fuite en Egypte, le massacre des innocents sont certainement des inventions apologétiques " (p. 12). "Il est évident que la deuxième et la troisième [tentation] n'ont pas leur place au désert : nous décelons ici la recomposition effectuée par les rédacteurs dans un but de catéchèse " (p. 41). "Ce passage de Marc, extrêmement vivant, [est] bourré de détails inutiles " (p. 46). "Il est évident, par exemple, que Jésus n'a pas prononcé d'un trait le Sermon sur la Montagne " (p. 60). "Les assimilations, nombreuses, par le Christ de sa mission à celle du ìFils de l'Hommeî sont certainement des paroles authentiques " ( p. 86) " Les consignes finales prétées au Christ par les évangiles sont, à coup sûr, des élaborations théologiques postérieures " (p. 97). "L'évangile de Jean est, comme toujours, plus proche de la vérité chronologique " (p. 111). "La comédie du reniement de Simon-Pierre [est] un épisode évidemment scrupuleusement exact " (p. 121). "C'est improprement, en effet, qu'on parle d'une résurrection de Lazare " (p. 125). "Ascension, Pentecôte ne sont pas des mythologies : au-delà des imageries, ce sont des affirmations de foi. Reste alors une seule véritable interprétation mythologique dans nos textes : la virginité de Marie " (p. 132).

Tout ceci serait dérisoire venant de tout autre auteur. Mais s'agissant d'un collaborateur de Charles Pasqua, qui regrette publiquement la carence de l'enseignement religieux en France, il y a lieu de s'inquiéter. Pour adapter la laïcité à notre temps, il faut envoyer les curés, les pasteurs et les rabbins, non pas précher dans les banlieues, mais apprendre aux instituteurs à présenter les textes sacrés dans leurs différentes versions, en commençant par l'Ancien Testament, que l'Eglise catholique - au contraire des églises réformées - a toujours occulté. A partir de là, les maîtres devront montrer comment se forment et se déforment les langages parlés et écrits, comment se fixent les rites et les calendriers, comment on passe des faits au mythe et du mythe à l'histoire. Ni la Traversée de la Mer Rouge ni la Passion du Christ ne relèvent de l'événementiel. Est-ce si compliqué à faire comprendre ? Hamlet s'appelait-il Hamlet ? et Jésus s'appelait-il Sauveur ?

(1) Jean-Claude Barreau : " Biographie de Jésus " Plon, 1993

(2) René Nouailhat "La genèse du christianisme, de Jérusalem à Chalcédoine " Histoire des religions C.R.D.P. de Besançon, 1990.

(3) Bernard Dubourg : "L'invention de Jésus ". Tome I : L'Hébreu du Nouveau Testament, 1987. Tome II  : La Fabrication du Nouveau Testament, 1989. L'infini, nrf, Gallimard.

Je ne compte pas poursuivre avec Barreau une "disputation" sur le mode médiéval ! Juste deux remarques :
bulletQuand Dubourg démontre que Jésus a été en effet " inventé ", il ne dit pas qu'il l'ait été par des "communautés chrétiennes". Au contraire, il explique que ce fut par des Juifs, experts en exégèse biblique. Si les livres de Jésus ont été produits comme les livres d'Esther ou des Macchabées, ce sont des livres édifiants, ce ne sont pas des sources historiques.
bulletA un païen qui lui demandait de résumer la Torah le temps de se tenir sur un pied, Hillel répondit : " Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu'il te fasse. Pour le reste, va et étudie. ". Barreau n'aimerait certainement pas être traité de négationniste. Pour le reste, qu'il aille et étudie, par exemple le jésuite Paul Beauchamp (L'un et l'autre Testament, Seuil). L'enseignement du Christ n'a rien à voir avec "la personnalité unique de Jésus".

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